Les conséquences de l’IAHP en Chine
La première épidémie de grippe aviaire en 1997 a fortement affecté l’aviculture chinoise. Le virus H5N1 IAHP a été repéré à la suite de la mort de 6 personnes à Hong Kong entre mai et décembre. Entre le 29 et le 31 décembre, 1,5 millions de poulets ont été abattus pour endiguer l’épidémie (Chan 2002). Cette crise provoquera un premier fléchissement de la croissance de la production avicole chinoise (+3% par an, contre +10% auparavant) du fait d’une baisse des investissements et d’une défiance d’une partie des consommateurs chinois.
Le virus H5N1 IAHP a ré-émergé en Chine en 2003 avant de se répandre rapidement dans toute l’Asie du Sud-Est[1] entre 2004 et 2005, puis en Europe et jusqu’en Afrique du Sud. Les volailles d’élevage étant abattues lorsqu’un foyer est identifié, les capacités de productions des pays considérés (dont la Chine) ont été très impactées.
A la suite de cet épisode, d’autres virus IAHP sont régulièrement identifiés en Chine. En 2013, c’était le cas de H7N9, qui est activement surveillé. La Chine n’est toujours pas indemne des IAHP : au premier semestre 2020 ce sont 6 foyers qui ont été identifiés par le ministère chinois de l’Agriculture et déclarés à l’OIE.
Les autorités vétérinaires sont bien conscientes de cette situation. La Chine est dotée d’un programme de vaccination nationale des élevages pour les virus H5 et H7[2]. Cette stratégie pose des risques, notamment de circulation à bas bruit du virus, mais le rapport coût bénéfice a été jugé favorable dans un contexte avicole chinois marqué par une succession d’épidémies d’influenza aviaire entre 2013 et 2017.
Mais l’influenza aviaire peut également avoir des conséquences pour la Chine, lorsqu’elle émerge hors de Chine.
Ainsi, en février 2004, un virus H5N2 IAHP a été repéré aux États-Unis. La Chine a alors appliqué, une interdiction d’importation de produits avicoles en provenance des États-Unis. Les États-Unis étaient le premier fournisseur de la Chine, et les possibilités de report relativement limitées à l’époque. Ainsi, les importations chinoises de viande de volailles sont passée de 763 kt en 2003 à 220 kt en 2004.
Suite à cela, la Chine a cherché à diversifier son approvisionnement en viande de volailles de zones indemnes de l’IA, en augmentant ses importations d’Amérique du Sud, en particulier du Brésil. Elle n’avait cependant pas assez anticipé sa dépendance à la génétique, quasi-monopole des États-Unis, ce qui lui posera des problèmes en 2015.
Cette année-là, un foyer de grippe aviaire est identifié aux États-Unis, tel que la Chine en interdit l’importation des produits avicoles, dont les reproducteurs. Cela a entrainé une rupture d’approvisionnement brutale de poussins Gallus reproducteurs, essentiels aux élevages industriels (Figure 1). Or, ceux-ci étaient devenus partie intégrante de l’alimentation d’une partie des Chinois.
Une fenêtre d’opportunité pour l’export de la génétique française s’est ouverte, jusqu’à ce que l’hexagone subisse également une interdiction d’exportations vers la Chine pour cause d’un virus IAHP en fin d’année 2015.
En Chine, la solution de court terme a été de pratiquer des mues sur les poules reproductrices, c’est-à-dire relancer le cycle de ponte par un jeûne. Cela permet de maintenir la production, mais les poussins produits ont alors des performances techniques et sanitaires dégradées. Dans les élevages chinois, les baisses des performances techniques liées à ces défaillances ont été visibles jusqu’en 2018.
Dès 2016, l’approvisionnement chinois en génétique aviaire s’est diversifié autour de plusieurs pays (Espagne, Nouvelle-Zélande, Pologne) indemnes de l’influenza aviaire. Les autorités chinoises soutiennent également le développement d’une production domestique en génétique aviaire.
Ce n’est que fin 2019, que le gouvernement chinois annonce successivement une réouverture du marché pour la France[3] et les États-Unis, tant pour la viande que pour la génétique. En 2021, les Etats-Unis sont redevenus le premier exportateur de génétique de poulet vers la Chine, aux dépens surtout de la Nouvelle-Zélande.
En parallèle, des scandales sanitaires ont aussi ébranlé la confiance pour les produits chinois (Le Figaro, 2014). Ainsi, sur cette période, la production de viande de volaille en Chine n’a pas suivi la même progression que celle de la demande totale en viandes, en forte hausse.
La consommation de viande de volailles en Chine est aussi influencée par la situation des autres filières animales, en particulier la filière porcine et les conséquences de la fièvre porcine africaine (FPA).
Les coronavirus et la Chine
L’épidémie de Covid-19 s’est répandue depuis la Chine à partir de décembre 2019 (principalement dans la province du Hubei) et s’est rapidement transformée en une pandémie aux multiples conséquences, notamment pour la production de volailles de chair.
Début 2020, les restrictions sanitaires appliquées par la Chine pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ont rapidement affecté la chaîne de production à tous les niveaux : transports d’alimentation animale et d’animaux finis perturbés, abattoirs en baisse d’activité, ralentissement voire arrêt des opérations de déchargement aux ports…
Les élevages de volailles de la province du Hubei (500 millions de volailles abattues/an) ont dû faire face dans le meilleur des cas à une chute vertigineuse de leurs marges et plus souvent à la destruction immédiate des animaux, en l’absence de stocks d’aliments ou de possibilité d’enlèvement des lots. Selon l’USDA, la production de viande de poulet aurait baisse de 21 % au premier trimestre 2020.
En 2020, plusieurs marchés export vers la Chine ont été fermés ou ralentis en raison de perturbations sur la chaîne logistique (absence de personnel pour décharger les conteneurs, rotations de camion plus lentes…). Néanmoins une hausse des importations chinoises de viande de volaille est constatée au premier trimestre 2020 (+ 26 %).
En Chine, avec le relâchement des restrictions sanitaires à partir de la mars 2020, le prix du poussin est reparti à la hausse et les industriels ont bénéficié de soutiens financiers de l’État pour relancer la production. Ce contexte de prix met en avant des perspectives à moyen terme toujours favorables pour la production avicole, en substitution de la viande de porc, sous réserve d’une certaine stabilité du système sanitaire dans les prochaines années (influenza aviaire et coronavirus).
La priorité donnée au sanitaire depuis la crise de la Covid-19 pourrait également avoir un impact de long terme sur la consommation de viande de volailles. Le 3 juillet 2020 a été annoncée la suppression (progressive) de l’abattage et la vente d’animaux vivants sur les marchés alimentaires en Chine. (La France Agricole, 2020). C’est une mesure importante, déjà exprimée par le passé, mais qui avait fait face à une forte résistance. Car si le poids des marchés traditionnels dans les achats d’aliments frais est en recul depuis une vingtaine d’années, ils représentaient encore près de la moitié des achats d’aliments frais en 2018 (McKinsey, 2019). Ces achats vifs correspondent à un marché alimentaire encore fondé sur l’économie informelle et réduisent la nécessité de respect de la chaîne du froid.
Au-delà du SARS-CoV2, il ne faut pas négliger les risques liés aux autres coronavirus présents en Chine. Déjà entre 2002 et 2004, un coronavirus originaire de Chine (identifié comme SARS-Cov, ou SARS en France) avait échappé aux dispositifs de surveillance épidémiologique et entrainé plusieurs centaines de morts dans une trentaine de pays. Les marchés d’animaux sauvages et l’empiètement des villes sur des zones peuplées d’espèces porteuses de coronavirus (chauves-souris en particulier) sont notamment des facteurs de risques d’émergences d’épidémies.
Impact des crises sanitaires sur la production et consommation en volaille en Chine
Bilan de production et consommation de la viande de poulet en Chine – (USDA, 2022)
(millions de tonnes) | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022* |
Production | 11,7 | 13,8 | 14,6 | 14,0 | 14,3 |
Import | 0,35 | 0,58 | 1,00 | 0,9 | 0,8 |
Export | 0,45 | 0,43 | 0,39 | 0,43 | 0,46 |
Consommation | 11,6 | 14,0 | 15,2 | 14,5 | 14,6 |
La crise de la FPA (Fièvre Porcine Africaine) a débuté en 2018. Une des conséquences a été la hausse significative des importations chinoises en viandes de volailles. La demande a été particulièrement dynamique sur les découpes avec os, pattes et abats. Ces achats ont majoritairement profité aux fournisseurs historiques (Brésil), aux entreprises asiatiques partenaires de groupes chinois (WH Group, thaïlandais CP Group) et au retour des Etats-Unis.
Entre 2018 et 2020, le premier fournisseur de la Chine était le Brésil (env. 50 %), suivi des États-Unis (env. 25 %) et de l’Union européenne (env. 10 %). La croissance de la demande s’est surtout faite sur les découpes congelées avec os (ailes), en provenance du Brésil et de Thaïlande.
L’année 2020 a été l’occasion d’un pic de consommation et d’importation de poulet en Chine. Si les restrictions liées à la pandémie ont pu jouer un rôle dans la modification des habitudes de consommation (fermeture de la restauration hors domicile), c’est surtout l’augmentation du prix du porc (réduction de l’offre consécutivement à la FPA) qui a entrainé un report des achats de viande vers la volaille.
À l’inverse, en 2021, c’est l’augmentation de la production domestique de porc qui a affecté la filière volaille. D’une part, car le prix de la viande a baissé dans tout le pays, et que les consommateurs chinois sont revenus à la viande de porc. D’autre part, car le prix de l’alimentation animale a fortement augmenté par rapport à 2020, affectant la rentabilité des élevages avicoles de petites et moyennes dimensions (notamment ceux qui s’étaient convertis suite à l’abattage de leur cheptel porcin). Comme pour le porc, une partie de ces élevages devraient disparaitre au profit d’exploitations plus grandes et plus spécialisées.
À plus long terme, la consommation de ces volailles traditionnelles issues d’élevages de petites ou moyennes dimensions sera impactée par la suppression (progressive) de l’abattage et la vente de volailles vivantes sur les marchés alimentaires ; et par l’essor des souches hybrides, plus adaptées à des filières d’abattages organisées (homogénéité et effectifs les lots, performances techniques).
D’autres facteurs, liés à la consommation domestique devraient attirer les consommateurs chinois vers la volaille. Dans les villes, la hausse brutale des achats alimentaires en ligne et l’augmentation des achats en restauration hors domicile (estimé entre 15 % et 20 % de la consommation de volailles en Chine) pourrait favoriser à terme les découpes désossées, et donc la filière poulet blanc au détriment des filières de poulet traditionnel. La volaille est également considérée plus saine que les autres viandes, critère qui devient de plus en plus important pour une partie des consommateurs chinois.
En 2022, les importations ont été limitées par le retour de la viande de porc et l’augmentation de la production domestique en poulet blanc et poulet hybride. Selon les données douanes, la Chine a importé 13 % en moins de viande de poulet en 2022, la baisse touche principalement des découpes congelées (-32 %).
La volaille d’importation, sur laquelle s’étaient reportés une partie des consommateurs chinois, devrait attendre quelques années avant de retrouver son niveau historique de 2020.
Peu développées, les exportations chinoises de volailles existent et croissent peu à peu sur les découpes désossées et les préparations à destination de Taïwan (env. 30 % des exportations chinoises en volumes), du Viêt-Nam (env. 30 %) et du Japon (env. 23 %). En décembre 2019, la Chine a également obtenu le droit d’exporter des plats préparés à base de volaille vers les Etats-Unis.
La place de la Chine sur le marché de la volaille ne doit pas être surestimée. La baisse de demande chinoise ne devrait empêcher ni le Brésil d’atteindre son record d’exportations en 2022, ni la croissance de l’import-export international de poulet (de plus 3% en 2022, selon l’USDA). L’instabilité pour les marchés provient surtout des nombreux foyer d’IAHP à travers le monde (ECDC, 2021), qui contraignent la production des exportateurs. Cette diminution de l’offre risque de s’accompagner d’une hausse des coûts, au profit de la production domestique chinoise.
Conclusion
Depuis 2000, la demande en viande de volailles de la Chine évolue au rythme de crises sanitaires (aviaire, porcines, humaines, en Chine ou ailleurs), de l’élévation du niveau de vie, des changements d’habitudes de consommation, et des priorités des autorités chinoises. Les crises sanitaires (en Chine ou ailleurs) et leur gestion ne vont pas mettre un terme à la consommation de volailles en Chine, mais complexifient les investissements dans le secteur et la visibilité des exportateurs souhaitant accéder à ce vaste marché en croissance.
Désormais, la consommation de volailles en Chine est d’environ 12 kg par habitant. Le type de volaille concerné varie beaucoup selon la catégorie socio-culturelle. Par exemple, les urbains se tournent de plus en plus vers le poulet blanc issus d’exploitations industrielles de grande dimension.
Il existe une offre domestique importante, puisque depuis les années 80, la production chinoise s’est fortement industrialisée. Ce processus devrait se renforcer dans les prochaines années, sous l’impulsion des autorités pour qui l’enjeu sanitaire rejoint celui de l’autosuffisance alimentaire.
L’année 2020, a été marquée par l’épidémie de COVID-19 qui s’est répandue depuis la Chine à partir de décembre 2019 (principalement dans la province du Hubei). Pour les filières volailles, l’année 2020 a surtout donné lieu à un pic de consommation lié aux perturbations de la FPA sur les filières porcines (moins d’offre, prix plus élevé, report sur la volaille).
Les autorités renonçant à certaines restrictions ont favorisé l’importation de viandes, même si celles-ci n’ont pas réussi à répondre entièrement au très large déficit de protéines animales de 2019 à 2020. Les importations ont quasiment doublé en un an, au profit des exportateurs bien implantés (acteurs brésiliens et asiatiques) et des États-Unis, de retour après 5 ans de restrictions.
L’année 2021 a vu la viande de porc récupérer sa part dans la consommation des ménages, ou presque. Car la volaille bénéficie d’une image de viande plus saine pour les consommateurs chinois, qui par ailleurs, consomment de plus en plus de poulet blanc dans la restauration hors domicile, la livraison et les produits élaborés. À long terme, la production de volailles chinoise devrait évoluer vers une consolidation des filières, notamment autour de la maitrise des outils d’abattage et l’accroissement des capacités de stockage qui prendront le pas sur la vente d’animaux vifs. Pour les exportateurs, le marché chinois représentera toujours un moyen de valoriser la partie de la carcasse qui n’est pas consommée par les occidentaux. C’est aussi un marché dynamique pour la génétique, qui fait l’objet d’une attention particulière des autorités, et où il n’est pas exclu que des acteurs chinois deviennent exportateurs.
[1] Certains observateurs considèrent désormais H5N1 comme endémique à la sous-région Asie du Sud-Est.
[2] Contrairement à l’Union européenne qui mise pour l’instant tout sur la biosécurité, notamment pour des questions commerciales (standard d’exportations, notamment pour la génétique).
[3] En 2020, la France subit un nouvel épisode de grippe aviaire à l’automne. Le pays sera déclaré indemne en septembre 2021. Mais un premier foyer en novembre 2021 lui fait perdre ce statut. A noter que le virus de ces vagues (H5N8) a d’abord été détecté en Irlande dans les années 80, même s’il est également présent en Chine.