Si le marché chinois des produits laitiers reste une valeur sûre pour les exportateurs, la difficulté réside souvent dans l’approche du marché et, le cas échéant, dans le choix d’un partenaire fiable. Les investissements de Synutra en France ont été massifs et réalisés dans un laps de temps relativement court. Après l’euphorie, les importantes difficultés de cette stratégie ont mené à une grande déconvenue.
Pourtant, sur le papier, l’affaire semblait bien engagée. Francophile, Liang Zhang, Président de Synutra, a également été l’un des premiers en Chine à prôner les investissements à l’étranger après le scandale de la mélamine, alors que les autres industriels laitiers chinois suivaient encore le Gouvernement dans la voie exclusive de rétablissement de la filière nationale dans une volonté d’autosuffisance. Il est intéressant de constater que, par la suite, toutes les grandes entreprises laitières chinoises ont suivi la stratégie de Synutra en investissant hors de Chine.
Synutra a réalisé les premières exportations de poudres de lait infantile depuis la Bretagne fin 2016. La firme a obtenu, dans le cadre de la nouvelle réglementation chinoise, les agréments pour ses recettes dès le mois de septembre 2017, a mis en place un marketing important centré sur l’origine France (voir photo) et s’est positionnée sur le segment haut de gamme. Mais les ventes ne sont visiblement pas à la hauteur des ambitions initiales. Le business plan sûrement trop ambitieux, compte tenu de la concurrence sur le marché chinois des poudres de lait infantile, et les problèmes techniques et organisationnels lors de la phase de réglage de l’usine de Carhaix ont considérablement fragilisé tout l’édifice en construction. L’activité de Synutra dans les produits laitiers est à plus de 90 % dépendante des poudres infantiles de lait de vache. Les ventes de poudres infantiles de lait de chèvre, réalisées à partir de matières premières laitières provenant d’Espagne, et les poudres pour adultes sont en progrès, mais ne permettent pas de rétablir l’équilibre des comptes en cas de méventes sur les produits phares. Face au remboursement des investissements consentis et aux créances des fournisseurs, Synutra se trouve dans une situation financière intenable, que même une réduction des charges de fonctionnement en Chine (réduction de salaire, diminution des primes,…) n’a pu jusque-là redresser.
Synutra, comme quasiment toutes les entreprises chinoises, avait été fortement impactée par le scandale de la mélamine en 2008 et avait connu entre 2009 et 2013, quatre années de résultats négatifs. Mais les chiffres des dernières années disponibles (2014, 2015 et 2016) montraient des résultats positifs, avec plus de 20 millions de dollars de bénéfices au 1er mars 2016, même si en recul par rapport à 2015. La sortie du Nasdaq en mai 2017 pour une domiciliation aux îles Vierges, suivie de l’absence de la publication des comptes en 2017 (excepté le 1er trimestre de Synutra France montrant un résultat fortement négatif), peut après coup être interprétée comme une fuite en avant pour tenter de cacher la mauvaise santé financière croissante de l’entreprise. Pourtant Synutra a investi en Chine en 2018 en rachetant en mai la société Shengda Yak dairy, située dans le Yunnan et fabriquant de poudres de lait de yak, puis en juin Jinyuan Dairy Co., Ltd., une société spécialisée dans les poudres de lait infantiles située dans le Henan (capacité annuelle de 3 500 tonnes de poudres de lait et des actifs estimés à 60 millions de RMB (environ 7,7 millions d’euros)). L’objectif affiché est d’élargir sa gamme de produits limitée par la nouvelle réglementation chinoise.
À notre connaissance, le groupe Synutra Chine n’a pas communiqué sur ces problèmes. Aucun article sur l’internet chinois ne fait état des difficultés de l’entreprise mais la presse chinoise a relayé l’information concernant l’erreur de livraison de Triskalia et la possible présence d’antibiotiques dans le lait produit, en parlant de nouvel incident sanitaire français, après l’affaire Lactalis.
Le défi de trouver le bon partenaire en Chine
Cette mésaventure n’est pourtant pas unique dans l’histoire des relations entre entreprises laitières chinoises et étrangères. Trouver le bon partenaire n’est pas toujours chose aisée en Chine. On peut ainsi rappeler qu’en 2008 Fonterra était associée à l’entreprise chinoise leader sur le marché des poudres de lait infantiles, Sanlu, qui fut au coeur du scandale de la mélamine. Sanlu a disparu, en partie rachetée par ses concurrents et sa présidente condamnée à la prison à vie.
En 2015, Fonterra, qui n’a pas renoncé au marché chinois, crée une coentreprise avec la société Beingmate, spécialisée dans la nutrition infantile, et se porte également acquéreur de près de 19 % du capital de son partenaire chinois, pour près de 50 millions d’euros. En 2017, Beingmate a annoncé un résultat négatif pour la deuxième année consécutive (130 millions d’euros en 2017 après plus de 100 millions en 2016) et, début 2018, le cours de son action a été divisé par 3 par rapport à son niveau de 2015. Ces résultats ont contribué au départ précipité du PDG de Fonterra au 1er semestre 2018.
FrieslandCampina a également pu juger de ses mauvais choix en matière d’investissements et de partenariats en Chine. En 2014, la coopérative néerlandaise investit 90 millions d’euros dans une co-entreprise avec la firme chinoise Huishan et entre également au capital de l’entreprise pour 24 millions d’euros. En 2017, Huishan connaît de graves difficultés financières, incapable de rembourser ses créanciers. Le cours de son action perd 90 % de sa valeur en une journée et la responsable financière de la firme disparait des radars. FrieslandCampina, qui subit des pertes estimées à plus de 60 millions d’euros, a racheté la totalité des actifs de la coentreprise pour 2 millions de dollars.
Danone n’a pas non plus été épargnée par les mauvais investissements. En 2014, l’entreprise française acquiert 25 % de Yashili, spécialisée dans les poudres infantiles et les poudres de lait de soja. Mais depuis 2015, l’entreprise chinoise n’affiche que des résultats négatifs et Danone a vu sa participation se déprécier.
Face à un marché chinois très demandeur en produits laitiers importés, le principal défi pour les entreprises laitières reste de trouver la bonne clé d’entrée. Certains opérateurs semblent avoir réussi : Arla, mais également Danone ont misé sur le n°2 laitier chinois, Mengniu en entrant au capital et en créant une coentreprise de yaourt pour Danone. Nestlé a initié sa présence en Chine dès 1990 grâce à une coentreprise avec une petite société d’État locale, Shuangcheng City Dairy Industrial Corporation, dans le Heilongjiang, avant d’entrer dans d’autres associations avec des partenaires de dimension locale (Hong-Kong, Qingdao) puis de créer des filiales en propriété exclusive. Citons également le partenariat entre Isigny Sainte Mère et H&H qui semble pour l’instant donner pleine satisfaction aux deux partenaires.
Le type de produits laitiers joue également un rôle. Si le marché des poudres de lait infantile est très rémunérateur, il est également de plus en plus concurrentiel, notamment depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation imposant l’enregistrement de toutes les recettes. Le marché du lait liquide parait en revanche saturé comme celui des poudres grasses. Nestlé vient par exemple de réduire à 5 % sa participation au capital d’une usine de fabrication de poudres en Chine, pour se focaliser sur des marchés plus porteurs, comme les yaourts, les crèmes ou les fromages.