Par Jean-Marc Chaumet
La guerre commerciale avec les États-Unis va-t-elle rapprocher la Chine et la Russie, notamment à travers une intensification du commerce agricole entre la Chine et La Russie ? La question mérite d’être posée.
Dans sa stratégie de diversification de ses approvisionnements, pour réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, la Chine cherche à tirer parti de toutes les ressources disponibles. Et dans la mesure du possible, son objectif est de réorienter ses achats vers des pays émergents, particulièrement ses partenaires au sein du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud), et / ou avec lesquels elle possède des intérêts stratégiques convergents. Elle se rapproche notamment de la Russie. Après une rupture dans les années 60 et 70, les deux pays se sont rapprochés et leur relation atteint maintenant le point de « partenariat et interaction stratégiques », avec comme cible commune Washington.
Partenaire stratégique de Pékin, même si méfiante vis-à-vis des nouvelles routes de la soie, elle n’est encore qu’un partenaire commercial de second plan, en particulier dans le domaine agricole. Les achats chinois de produits agricoles et alimentaires en provenance de Russie n’ont atteint que 2,7 milliards d’euros en 2018, soit seulement 2 % des importations de l’Empire du Milieu.
Pourtant, les relations agricoles entre les deux pays sont pourtant anciennes. Dès les années 1990, une migration chinoise a débuté vers la Russie pour mettre en valeur des terres abandonnées lors de la chute du communisme et la réforme agraire qui a suivi. Ce mouvement a d’abord été
le fait d’agriculteurs chinois, motivés par la recherche de travail. Engagés comme ouvriers dans les fermes d’états russes, ils ont ensuite loué des terres pour y cultiver des légumes destinés aux marchés locaux. Puis, dans les années 2000, vinrent les entreprises chinoises, publiques comme privées, à la recherche de profits, dans les secteurs des grains (soja et maïs) et les légumes secs, mais également dans les productions animales (porc, lait).
Pour l’instant, la Russie fournit surtout des produits de la pêche et de la pisciculture (poissons congelés, crustacés…) qui représentent les 2/3 des importations chinoises agricoles en valeur en provenance de son voisin et 18 % des achats chinois de ces produits. Mais les importations en provenance de Russie ont plus que doublé entre 2014 et 2018. Après avoir été positive entre
2010 et 2015, la balance commerciale agroalimentaire de la Chine avec la Russie est ainsi redevenue déficitaire à partir de 2016 pour atteindre un record historique de 1 milliard d’euros. La politique agricole russe d’augmentation de la production nationale, suite à l’embargo
sur les produits européens et étatsuniens, ainsi que la dépréciation du rouble, ont tiré les exportations russes. Et, en novembre 2018, Vladimir Poutine a mentionné que, suite au conflit commercial avec les États-Unis, la Russie pourvoira la Chine en poulet et soja.
La montée des tensions avec les États-Unis a poussé à l’intensification des flux de soja, dont les exportations vers la Chine ont doublé entre 2016 et 2018, mais ne représentent qu’1 % des importations chinoises.
Des accords sanitaires ont été trouvés pour l’exportation de viande de poulet russe à partir de 30 entreprises russes. Le groupe Cherkizovo, le plus grand producteur de viande en Russie, a commencé à expédier des produits à base de volaille en Chine en mai 2019 et envisage maintenant d’y vendre du porc et du soja.
Si la Chine dispose de capitaux, de savoir-faire et de main-d’œuvre, la Russie cherche, pour sa part, à développer son secteur agricole et les zones rurales de l’extrême Est du pays. Cette forte complémentarité devrait permettre de rapprocher encore les deux pays, sans que la Russie ne puisse remplacer les Etats-Unis comme 2e partenaire agricole de la Chine, derrière le Brésil.