Par Elisa Husson
L’impact du coronavirus sur l’économie mondiale reste la principale préoccupation des acteurs économiques, tous secteurs confondus dont le secteur porcin. Les importations de la Chine sont actuellement limitées par des difficultés logistiques.
L’épidémie mondiale de Covid-19 perturbe temporairement l’approvisionnement en viande de porc du marché chinois qui est structurellement déficitaire. Le ralentissement de la propagation du coronavirus en Chine permet un retour progressif des importations. L’activité économique du pays reste ralentie, bien que les restrictions de l’ensemble des activités économiques et de mouvement se lèvent peu à peu. Mais l’épidémie impacte aussi les entreprises des bassins exportateurs sur le plan du personnel et de la logistique.
Des importations demandées mais perturbées
En janvier et février, près de 830 400 tonnes de viande et coproduits ont été acheminées sur le marché chinois, soit un niveau record, en hausse de 107 % par rapport à l’an dernier. Les exportateurs européens ont de nouveau répondu présent pour satisfaire la demande chinoise. Les expéditions de l’Union européenne totalisent près de 469 000 tonnes sur cette période (+73% en un an). Cependant, la concurrence sur le marché chinois s’aiguise chaque jour davantage. Outre-Atlantique, les exportateurs américains disposent d’importants volumes et redoublent d’efforts pour les acheminer en Chine. En février, les expéditions de porc américain vers la Chine, ont dépassé celles de l’Allemagne et de l’Espagne, et continueront de s’amplifier dans les prochaines semaines. La phase 1 de l’accord USA–Chine, négocié début 2020, autorise de nouveaux abattoirs américains à exporter vers la Chine. Par ailleurs, depuis début mars, les produits porcins en provenance des Etats-Unis sont exonérés du tarif douanier supplémentaire initialement prévu. Par ailleurs, l’épidémie de Covid-19 chamboule les chaînes d’approvisionnement aux Etats-Unis. Face aux nombreuses contaminations de personnel, de grands abattoirs appartenant aux majors (Tyson, JBS…) ont dû cesser leur activité. Les éleveurs rencontrent ainsi des difficultés à abattre leurs porcs. Le cours du porc étatsunien a chuté et mis sous pression les prix sur le marché de l’export. La viande étatsunienne a momentanément concurrencé les origines européennes. Mais depuis fin avril, les choses sont en train de changer. La baisse des abattages a un impact majeur sur l’offre nationale et les prix de la viande augmentent rapidement. De plus, l’exportation rencontre des problèmes liés au transport. Les entreprises américaines sont moins présentes, ce qui signifie que les acheteurs chinois cibleront à nouveau les fournisseurs européens et brésiliens.
Par ailleurs, les importations chinoises restent perturbées par les problèmes logistiques. En effet, les blocages des ports et des moyens de transport ont fortement retardé les livraisons de conteneurs. Ces derniers se sont accumulés dans les plus grands ports chinois, et le retour à une situation normale est progressif. Par ailleurs, les grands armateurs maritimes internationaux ont décidé de réduire le nombre de rotations, pour faire face à la baisse de la demande internationale en fret, tous produits confondus. La capacité de transport international vers la Chine s’en retrouve ainsi limitée, et les coûts liés au transport ne cessent de croître.
Toujours un manque de production intérieure et une volonté de redévelopper la production porcine
Malgré ces importations massives, le manque d’offre en Chine est toujours prégnant. Selon les données publiées par le bureau national des statistiques, au premier trimestre, 131,3 millions de porcs vivants ont été abattus dans le pays, soit 30% de moins qu’en 2019 (-57 millions de têtes); La production porcine a baissé de même ampleur de-29%/2019 à 10,38 millions de tonnes. Les autorités chinoises auraient puisé dans leurs réserves en vendant plus de 300 000 tonnes de porc depuis le début de l’année dans l’objectif de maintenir une pression sur les cours.
En conséquence, les cours du porc, en légère baisse, se maintiennent cependant à de très hauts niveaux. En avril, le prix du porc est de 33,7 CNY/kg carcasse (soit 4,38 €/kgéc), en hausse de 124% par rapport à cette même période en 2019, et en baisse de 7 % en un mois.
Politique de soutien de la production hors et en Chine
Le gouvernement chinois incite au développement de la production porcine. Le Ministère de l’Agriculture chinois a récemment publié un nouveau plan pour la filière porcine. Les grandes entreprises de production chinoises sont encouragées à construire des élevages de porcs à l’étranger, afin de combler le manque de production sur le marché intérieur. La mise en place d’élevages de porcs à l’étranger pour fournir le marché chinois ne serait possible que dans les pays ayant des relations commerciales bilatérales stables avec la Chine, et indemnes de la fièvre porcine africaine. Cette annonce s’inscrit dans la stratégie nationale de maîtriser l’approvisionnement alimentaire à travers des importations d’aliments produits par des entreprises chinoises à l’étranger, à défaut de pouvoir les produire sur son sol.
Dans le même temps, le gouvernement chinois continue de subventionner les grandes entreprises porcines afin qu’elles poursuivent le redéveloppement de la production nationale. Plus de 17 milliards de yuans (2,2 milliards d’euros) ont été réservés à ce programme. Le fonds finance l’optimisation et la modernisation des élevages, des prêts bancaires et des services d’assurance, de la protection de l’environnement. Dans ce dernier domaine, le Ministère chinois de l’environnement a annoncé en mars dernier une simplification des exigences d’enregistrement environnemental pour l’élevage porcin et un assouplissement de l’interdiction d’élevage porcin dans 14 000 zones. Il a été précisé que la protection de l’environnement ne devrait pas être utilisée comme excuse pour freiner le développement de l’élevage porcin. Le gouvernement chinois revient ainsi sur une partie des mesures de protection de l’environnement mises en place en 2017. L’autosuffisance en viande porcine semble donc primer sur la protection de l’environnement. Grâce à ces décisions du gouvernement, le cheptel reproducteur serait en hausse constante depuis octobre 2019, soit une progression de 11% entre septembre 2019 et mars 2020.
Mais la hausse du prix de l’alimentation animale en ce début 2020 réduit les marges des éleveurs et pourrait atténuer la dynamique de production si les prix demeurent élevés.
Même sans l’aide financière du gouvernement chinois, les grandes sociétés de production porcine sont très motivées pour accroître leur production. Sur la base de 10 grandes sociétés cotées en bourse, d’ importants bénéfices ont été réalisés au premier trimestre 2020Muyuan, qui a vendu 2,5 millions de porcs au premier trimestre (17% de moins qu’au premier trimestre 2019), affiche un bénéfice de plus de 4 milliards de yuans, soit une augmentation de 864% par rapport à la même période en 2019. L’entreprise semble moins touchée par l’épidémie de FPA que d’autres producteurs. L’entreprise Wens, l’un des plus grands producteurs, a enregistré un bénéfice de 1,9 milliard de yuans avec la commercialisation de 2,2 millions de porcs, ce qui représente une baisse des abattages de 62% par rapport à la même période de l’année dernière. Cette liste comprend également les entreprises Zhengbang, New Hope et Tianbang.
Le revenu par porc varie considérablement selon les entreprises, allant de 800 à 1800 yuans par porc. Outre les différences d’organisation, ces écarts sont en partie dus aux différences de prix au sein des provinces chinoises.
Selon le China Agricultural Outlook Report (2020-2029) la production porcine du pays devrait se redresser progressivement. Elle devrait être de 39 millions de tonnes (-28%/2018 et -8%/2019)[JMC1] [EH2] en 2020, soit environ 500 millions de porcs. En 2021, la production dépasserait les 50 millions de tonnes et reviendrait en 2022 à son niveau de 2016-2018, soit 54 millions de tonnes. En 2029, la production nationale frôlerait les 60 millions de tonnes et les importations de porc chuteraient à environ 1,2 million de tonnes.
Une crise sanitaire et économique de grande ampleur
D’un point de vue plus macro-économique, l’épidémie de Covid-19 impacte le marché du porc mais déstabilise aussi toute l’économie du pays. Au premier trimestre 2020, le PIB de la chine a plongé de 6,8% par rapport à l’an dernier, une première depuis 40 ans et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping.
Les conséquences économiques en Chine et dans le monde n’ont pas encore été pleinement évaluées, mais la crise intervient dans un contexte mondial où les perspectives de croissance étaient déjà moroses. L’ensemble des secteurs d’activité devra ainsi s’adapter à ces déstabilisations de marché.