Apparue il y a 2 ans et demi dans le pays, la FPA (Fièvre porcine africaine) a montré aux décideurs chinoises l’impossibilité, en temps de crise, de poursuivre plusieurs objectifs politiques à la fois et donc mis en lumière la fragilité du système alimentaire chinois. Elle a en effet placé les autorités face au dilemme de choisir entre limiter l’inflation, conserver un niveau élevé d’autosuffisance en viande porcine et appliquer une nouvelle politique environnementale.
Tout d’abord, la chute de près de 40% du cheptel porcin en un peu plus d’un an et de plus de 21 % de la production nationale, d’après les données officielles, a entraîné une multiplication par plus de deux des prix de la viande sur les marchés à travers le pays. Or la viande porcine, emblématique de la cuisine chinoise, représentait près des deux tiers de la consommation de viande en Chine en 2018, avec près de 40 kg équivalent carcasse annuels. Elle occupe donc une place importante dans la vie des Chinois, dans le panier de la ménagère et conséquemment dans le calcul de l’indice des prix à la consommation. Elle pèserait 13% dans l’indice des prix à la consommation alimentaire et 3% dans l’indice total des prix à la consommation.
Comme la Chine ne craint plus l’apparition de famines sur son sol, les priorités de l’Etat central, dans le cadre de sa politique de sécurité alimentaire, se sont déplacés vers la lutte contre l’inflation, dans un objectif de stabilité sociale dans un pays où les contestations sont rarement autorisées.
Des importations qui accentuent la dépendance alimentaire chinoise
Pour tenter de juguler l’inflation et de satisfaire la demande des consommateurs, la Chine a procédé à des importations massives de viandes et de produits porcins, qui ont atteint des records historiques. : 5,7 millions de tonnes en 2020, soit une multiplication par 2,7 entre 2018 et 2020. La FPA a également été indirectement à l’origine d’une hausse de la consommation et d’importations d’autres viandes (volaille, bovine), creusant encore plus le déficit commercial agro-alimentaire chinois.
Mais les importations massives de viande ont mis à mal la relative autosuffisance en viande porcine. Si la sécurité alimentaire se traduit souvent en chinois par « sécurité des grains », la viande porcine fait partie des produits alimentaires au centre de la politique agricole du pays. Alors que le virus circule encore dans les exploitations chinoises, dépendre de l’étranger pour l’approvisionnement de la première viande consommée dans le pays est ainsi considéré comme une faiblesse, d’autant plus que cette situation peut s’avérer dangereuse sur un plan géoéconomique.
La seule solution à moyen terme est donc de restaurer l’autosuffisance de la Chine en porc. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement central chinois accentue la pression sur les autorités locales afin que celles-ci mettent en œuvre des plans de reconstitution du cheptel porcin. Ces actions se mettent en place au niveau local à travers des programmes de subventions et la facilitation de construction de nouvelles exploitations, notamment sur des terres normalement dévolues à des cultures de céréales.
Une politique environnementale revue
Afin de recouvrer au plus vite l’autosuffisance nationale, les autorités chinoises ont donc été contraintes de revenir, partiellement, sur leurs objectifs environnementaux décidés quelques années auparavant. En 2013, un rapport officiel pointait les déjections animales comme une nouvelle source de pollution devenue prépondérante. Elles seraient responsables de près de 60 % des rejets agricoles de phosphore et de près de 40 % de ceux d’azote. Les exploitations de grande taille sont montrées du doigt pour leur forte contribution à ce phénomène. Une des mesures phares prise alors dans la lutte contre les pollutions d’origine animales a consisté à délimiter des zones sans élevage qui englobent des périmètres habités et/ou des zones de captage d’eau potable et/ou des zones environnementalement fragiles et/ou des zones touristiques. En décembre 2017, 630 000 km² de zones interdites étaient répertoriées à l’échelle nationale, soit une superficie supérieure à celle de la France continentale, et plus de 200 000 élevages ont été fermés ou déplacés. Cette mesure a été complétée par une taxe sur les pollutions environnementales qui vise les pollutions de l’air, de l’eau et du sol.
Ainsi, après avoir limité l’élevage dans de nombreuses zones considérées comme vulnérables et déplacé une partie de la production porcine, les consignes de Pékin ont été de faciliter la création d’exploitations partout où cela était nécessaire, quitte à oublier ces nouvelles règles environnementales. En mars 2020, le ministère chinois de l’Environnement a ainsi simplifié les exigences d’enregistrement environnemental pour l’industrie de l’élevage porcin et assoupli l’interdiction d’élevage porcin dans 14 000 zones auparavant interdites d’élevage. Le Ministère de l’Environnement a notamment mentionné que « La protection de l’environnement ne devrait pas être utilisée comme excuse pour freiner l’élevage porcin. »
Les récents évènements ont donc forcé les dirigeants chinois à faire des choix, ne pouvant mener de fronts leurs différentes politiques visant à atteindre une autosuffisance en porcs, un prix du porc modéré et une large protection géographique contre les pollutions animales. Les choix d’une inflation limitée à court terme et d’une autosuffisance retrouvée à moyen terme ont ainsi été érigés en priorité.