Vers la fin de la crise de FPA ?

Par Elisa Husson et Jean-Marc Chaumet

En 2019 et en 2020, la Chine a beaucoup fait parler d’elle, le pays étant touché de plein fouet par la fièvre porcine africain (FPA) provoquant une hausse mondiale des cours du porc. Aujourd’hui, la situation économique dans le pays semble avoir bien changé malgré la persistance du virus dans les élevages.

Mauvaise rentabilité dans les élevages chinois

Depuis le début d’année, le prix du porc en Chine n’a cessé de dégringoler jusqu’à mi-octobre. Même pendant la fête de la lune et la fête nationale, la consommation de viande porcine n’a pas permis une hausse des cours du porc. En l’espace de quelques mois, le prix est passé de 36 yuans (6 €/kg) à environ 12 yuans (1,62 €/kg), un niveau deux fois plus faible que celui atteint en 2020 à la même époque.

Cette situation serait le résultat de nouvelles éclosions de la fièvre porcine africaine dans le pays qui ont entrainé une hausse des abattages dans le pays, d’un regain de l’offre locale (sans doute plus importante qu’anticipé), d’une demande en retrait et des effets des politiques gouvernementales qui justement cherchaient à limiter l’inflation et stabiliser les prix.

D’après les données officielles chinoises, la production porcine aurait progressé de +38% /2020 et de +23% /2019 sur les 9 premiers mois, mais serait également supérieurs aux niveaux de 2018 et 2017 (2%).

En 2019, les autorités chinoises poussaient la construction des fermes porcines pour reconstituer les stocks de porc dès que possible (importants programmes de subventions pour les élevages industriels, soutien aux importations de porcs reproducteurs) et ordonnaient aux fonctionnaires locaux d’encourager ce mouvement. Aujourd’hui, les mêmes autorités demandent de réduire les cheptels. Le ministère chinois de l‘agriculture estime que le secteur porcin a une capacité de production excédentaire d’environ 10 % et signale que le nombre de truies a diminué trois mois de suite depuis juillet. Un responsable du ministère a suggéré aux fermes d’abattre une truie à faible productivité sur dix dans le troupeau et d’abattre les porcs engraissés 10 jours plus tôt que prévu.

Le marché chinois du porc semble donc saturé. D’un côté l’offre des viandes autres que le porc a beaucoup progressé, encouragée dans un premier temps par les dirigeants chinois. Sur les 3 premiers trimestres, les statistiques officielles affichent des progressions de production de +5,3% /2020 pour la viande ovine, de +3,9% pour la viande bovine et de +3,8% pour la volaille. A ces volumes s’ajoutent les importations, également en hausse.

De l’autre, les voyages et la restauration sont limités à cause des mesures strictes liées à la politique zéro Covid réduisant la demande.

Sur le marché intérieur, les prix  ont dégringolé et sont maintenant souvent inférieurs aux coûts de production, surtout depuis la hausse mondiale du prix des matières premières. La rentabilité de bon nombre d’élevages est donc mise à mal, en particulier pour les 25 millions de petites structures. A la différence des grands complexes sortis de terre ces derniers mois, et également affectés par les bas prix, les élevages familiaux de petite taille ne bénéficient pas des subventions de l’Etat et du soutien des banques provinciales. Certains éleveurs seront ainsi contraints de cesser leur activité, et sont entrés en phase de décapitalisation de leur cheptel. Mais un certain nombre d’éleveurs ayant profité des prix élevés des deux dernières années veulent continuer à produire, espérant pouvoir tenir jusqu’à la remontée des cours.

Les grands élevages ne sont pas tous à l’abri et plusieurs projets auraient été abandonnés ces derniers mois.

La chute des prix est telle qu’elle met également à mal la rentabilité des grandes entreprises d’élevage et de transformation. Muyuan estime ainsi que son bénéfice pour les trois premiers trimestres serait en recul de près de 60%. Le troisième trimestre afficherait une perte comprise entre 500 millions à 1 milliard de RMB (70 à 140 millions €). Le cours des actions en bourse de cette société a perdu 40% de sa valeur entre février et octobre 2021. Le géant New Hope annonce une perte au 3ème trimestre entre 2,6 et 3 milliards de RMB (360 à 420 millions €). La perte la plus importante reviendrait à Zhengbang Technology, qui devrait perdre 5,5 à 6,5 milliards de yuans au troisième trimestre (770 millions à 900 millions €).

Le repeuplement du cheptel national sera donc dans un premier temps ralenti. En 2022, le nombre de truies reculerait de 5% /21et la La production de porc chuterait de -14% /21, sous l’effet de cette situation économique compliquée.

Depuis fin octobre, le prix du porc est légèrement reparti à la hausse. Cette remontée est en partie causée par les fortes pluies qui ont touché certaines régions et bloqué momentanément la commercialisation de porcs abattus, entrainant une remontée temporaire des cours.

Repli des importations chinoises

La demande chinoise en produits du porc est un gros point d’incertitude pour l’ensemble des fournisseurs mondiaux. Depuis plusieurs mois déjà les importations chinoises ont fortement reculé  : entre un record à 550 Mt en mars et un mois de juillet qui affiche des niveaux proches de 315 Mt. L’ensemble des fournisseurs mondiaux sont confrontés à cette baisse de la demande, mais aussi à des difficultés logistiques (dont la hausse des coûts de transport et le manque de main-d’œuvre), aux fermetures temporaires de certains ports en Chine en raison de l’épidémie de Covid-1- qui sévit toujours, etc.

Cette baisse récente des importations s’explique par la hausse de l’offre locale, mais surtout par la volonté du gouvernement de faire pression sur les prix mondiaux du porc. La valeur de l’export vers la Chine chute plus rapidement que les volumes ces derniers mois.

L’UE-27 a d’ailleurs été confrontée au déréférencement récent d’une vingtaine d’outils dans l’UE, et à une vague d’audits par les services chinois. Le véritable enjeu est de permettre aux filières nationales européennes de conserver l’ensemble des agréments vers la Chine. En effet, le marché européen se retrouve actuellement confronté à une importante offre locale, et le moindre volume ne trouvant pas débouché sur les destinations pays-tiers pèse sur les cours des porcs à la production. Dans un contexte de prix des matières premières élevés, la situation économique des éleveurs européens se dégrade fortement.

Un autre facteur pourrait également expliquer l’abaissement des achats chinois :  la consommation de porc par les citoyens et les changements des habitudes alimentaires favorisant le poulet, le bœuf ou d’autres sources de protéines animales. Ceci répond à une volonté du gouvernement d’être moins dépendant aux importations, et d’atteindre l’autosuffisance en protéines animales. Ce changement de paradigme aura une conséquence réelle sur l’évolution future des marchés mondiaux.

En conclusion, Le marché chinois sera dans un premier temps abondé par l’offre locale et aucun signe n’indique une reprise des achats de la Chine auprès de ses fournisseurs européens. Cette hausse de production sera cependant temporaire, avant de refluer du fait de la fermeture de nombreux élevages non soutenus par le gouvernement. La perte de production de ces élevages sera graduellement compensée par la production dans les entreprises modernes plus performantes.

En 2021, les importations chinoises pourraient ainsi rester équivalentes à 2020, voire légèrement en deçà en termes de volume, mais elles se feront assurément à un prix inférieur, le gouvernement ne souhaitant pas renouer avec l’inflation sur le porc connue ces dernières années. Au bout du tunnel vers l’été 2022, la décapitalisation des effectifs en cours en Chine conduira probablement à une reprises des importations mais ce, de manière provisoire, avant que la production des grands élevages ne prenne toute son ampleur.

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