Le soja reste au cœur des enjeux de l’approvisionnement en grains

Par Manon Sailley

Entre relations commerciales avec les Etats-Unis et FPA, la Chine reste un pays déterminant pour l’évolution des marchés des commodités agricoles, en particulier pour les graines oléagineuses et les tourteaux. En dépit du déclin de la production porcine chinoise, les importations chinoises de soja n’ont pas diminué en 2019. Le développement depuis décembre du Covid-19 et son impact sur l’économie chinoise devraient encore davantage perturber l’équation.

Etats-Unis et Chine signent un armistice dans leur guerre commerciale

Après plus d’un an et demi d’escalade tarifaire entre la Chine et les États-Unis, un accord commercial semble enfin avoir été trouvé sur les produits agricoles (« Phase 1 »). Annoncé dès décembre, le texte a été signé le 15 janvier 2020, mais jugé décevant par les exportateurs américains en comparaison aux premières annonces. En effet, les chiffres de décembre mentionnaient des achats chinois en produits agricoles américains de l’ordre de 40 à 50 milliards de dollars en 2020, alors que le texte final stipule une valeur de 36,5 milliards d’euros. Ce serait toutefois une augmentation de 12,5 milliards d’euros de dépenses chinoises par rapport au niveau de 2017, avant le début du conflit. Un autre aspect du texte a altéré l’optimisme des exportateurs américains. Il est mentionné que les volumes importés « dépendront des conditions de marché », en d’autres termes qu’il n’y aura pas d’accès privilégié des marchandises américaines au marché chinois par rapport aux exportateurs concurrents.

Le soja reste au cœur des enjeux puisqu’il représentait près de 60% des 24 milliards de dollars de produits agricoles américains importés par la Chine en 2017. D’autres matières premières végétales américaines devraient pouvoir tirer profit de la résolution du conflit, en particulier les drèches de maïs (« DDGS »), le sorgo et le blé, mais les volumes et montants en jeu ne sont pas comparables à ceux du soja.

Soja : les volumes importés n’ont pas baissé en 2019

Contre toute attente, les importations de soja par la Chine en 2019 n’ont pas baissé par rapport à 2018, en dépit de la décapitalisation porcine en raison de l’aggravation de l’épidémie de FPA en 2019. Ainsi, les importations de cette graine oléagineuse totalisent 88,5 Mt en 2019 contre 88 Mt en 2018.

Le Brésil est resté le premier fournisseur de la Chine en fève de soja (58 Mt), mais a perdu des parts de marché (66 Mt en 2018) au profit de l’Argentine (8,8 Mt) qui a retrouvé sa capacité d’exportation de fèves, après une récolte 2018 fortement impactée par la sécheresse. Les volumes de soja étatsunien achetés par la Chine ont été similaires à ceux de 2018 (17 Mt), mais sont demeurés bien inférieurs à ceux d’avant le conflit commercial (33 Mt en 2017). Soulignons que l’origine russe, parfois citée comme source de diversification des approvisionnements chinois, n’a représenté que 0,8 % des volumes importés par la Chine en 2019 (0,7 Mt).

A l’inverse, les importations de tourteau de soja ont encore reculé de 58 % en 2019, et deviennent totalement marginaux à 9 500 t. La quasi-totalité des besoins en aliments du bétail sont toujours comblés par des tourteaux de soja produits localement à partir de graines importées.

Un fort rebond des importations au 2ème semestre 2019

2019 s’est déroulée en deux temps. Sur les 7 premiers mois de l’année, les volumes importés ont été en repli par rapport aux années précédentes. Ensuite, des volumes conséquents ont été importés durant la seconde moitié de l’année 2019 (août à décembre), revenant tout près des niveaux de fin 2017 (avant le conflit commercial avec les USA et le développement de la FPA).

Plusieurs hypothèses peuvent être formulées pour tenter d’expliquer ce retour de la Chine aux achats de soja malgré la dégringolade du cheptel porcin.

La première hypothèse relève du contexte diplomatique. En effet, le marché chinois est approvisionné en soja par des fournisseurs différents selon les périodes de l’année. Cette saisonnalité est en phase avec les périodes de récolte des pays exportateurs, après septembre aux Etats-Unis et à partir de mars en Amérique Latine. Ainsi, la Chine s’approvisionne majoritairement auprès des Etats-Unis à partir d’octobre. Fin 2018, le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine avait poussé les opérateurs chinois à bouder l’origine étatsunienne, conduisant à de faibles volumes importés en novembre et en décembre. Cela n’a pas été le cas fin 2019, période durant laquelle les achats de soja  étatsunien ont nettement repris. Il s’agissait peut-être pour la Chine d’un moyen de montrer sa bonne volonté dans les négociations avec les Etats-Unis sur le commerce agricole.

Deuxième élément d’explication, la Chine est également une grande consommatrice d’huile de soja pour l’alimentation humaine, coproduite lors de la trituration de la fève de soja. Environ 16 Mt d’huile de soja sont consommées chaque année en Chine (moyenne des 3 dernières années), soit près de 30 % de la consommation mondiale de cette huile. La reprise des importations de fèves de soja pourrait aussi s’expliquer par une baisse des stocks chinois d’huile de soja qui aurait nécessité un réapprovisionnement en fin d’année, surtout dans un contexte de prix élevés des autres huiles végétales en fin d’année 2019 (huile de palme en particulier). Les importations d’huile de soja ont aussi bondi (+50% /2018), mais le volume importé en 2019 (0,8 Mt) ne représentait qu’une infime partie des besoins du pays.

Ainsi, dans l’hypothèse où l’activité chinoise de trituration se serait reprise en fin d’année 2019, se pose la question du débouché des tourteaux de soja produits. Faute de demande de la part de la filière porcine (FPA), il semble probable que des stocks conséquents de soja et de tourteaux de soja se soient accumulés. Par ailleurs, il est aussi envisageable qu’une part des excédents de tourteau ait été captée par le développement des autres filières animales (volailles principalement, aquaculture mais peut-être aussi bovins lait).

D’autre part, les autorités chinoises ont également pu vouloir reconstituer leurs stocks, mis à mal par 18 mois de guerre commerciale avec les Etats-Unis.

Enfin, la chute du cheptel porcin chinois a été stoppée au dernier trimestre 2019. Faut-il ainsi voir le regain d’achat chinois de soja comme un indicateur avancé de la reprise de la production de porc en Chine ? Néanmoins l’officialisation de l’épidémie de Covib-19 par les Autorités chinoises mi-janvier et les mesures de confinement prises handicapent largement l’approvisionnement des élevages dans plusieurs régions, de même que la sortie des porcs finis.

Pour le moment, il est difficile de hiérarchiser les raisons possibles à ce regain d’importation en fin d’année. Le développement actuel du coronavirus dans le pays ajoute bien évidemment à la complexité à la lecture du marché chinois. En effet, l’économie chinoise est encore fortement ralentie par l’épidémie (usines, bureaux et commerces fermés, logistique bloquée, déplacement et consommation des ménages limitées…) ce qui devrait engendrer une dégradation du PIB du premier trimestre 2020 selon les analystes économiques. Les besoins en matières premières pourraient donc être impactés à la baisse, à l’image du repli significatif de la consommation chinoise de pétrole depuis le début de l’épidémie qui a causé une baisse notable des cours mondiaux. La durée de la crise est cependant encore difficile à appréhender, tout comme la capacité de la Chine à rebondir à la suite de cet épisode sans précédent.

Entre la mi-novembre et fin janvier, le prix du tourteau de soja sur la bourse d’échange de Dalian a perdu 8%, avant de stabiliser au niveau de son cours de mai 2019.

Forte hausse des importations chinoises de tourteaux de tournesol

La stratégie de diversification des sources d’apports protéiques pour l’approvisionnement de secteur chinois de l’alimentation animale a été mise à mal par un autre différent diplomatique. A la suite de l’arrestation d’une haute dirigeante de l’entreprise chinoise Huawei par les autorités canadiennes en vue d’une extradition vers les Etats-Unis, la Chine mis un frein aux importations de canola canadien (type de colza d’hiver canadien). Celles-ci sont passées de 4,75 Mt en 2018 à seulement 2,7 Mt en 2019 (- 43%).

En parallèle, la baisse des importations de canola a été compensée par une forte augmentation des importations de tourteau de tournesol, passant de 0,4 Mt en 2018 à 1,45 Mt en 2019. La quasi-totalité de cette matière première provient d’Ukraine, où la récolte de graine de tournesol a été record en 2019.

© ABCIS 2020 Mentions légales