La viande de volaille, baromètre des crises sanitaires en Chine.

Par Jonathan Hercule

L’épidémie de COVID-19 qui s’est répandue en Chine à partir de décembre 2019 (principalement dans la province du Hubei) a coupé l’élan des producteurs de volaille chinois. Si le virus SARS-CoV-2 n’affecte pas les volailles, la filière a doublement subi les perturbations liées aux restrictions sanitaires imposées en Chine depuis trois mois.

Bien avant la crise actuelle, le contexte avicole chinois était déjà marqué par une succession d’épidémies d’influenza aviaire entre 2013 et 2017. Si elle sévit surtout en élevage, elle n’en a pas moins causé plusieurs centaines de morts selon l’OIE, notamment en 2017 (127 décès). Ces crises successives ont ébranlé la confiance des  consommateurs chinois dans la production nationale. Aussi, la production de viande de volaille en Chine n’a pas suivi la même progression que celle de la demande totale en viandes, en forte hausse sur la dernière décenni.

Depuis 2018, c’est une autre crise sanitaire qui frappe la filière porcine en Chine : la fièvre porcine africaine (FPA), qui a conduit à un repli de la production porcine de 21% à 42 Mt en 2019 et pourrait aboutir en 2020 à une division par deux de la production totale chinoise de porc en deux ans. La reprise de la croissance  de production n’est pas attendue avant 2022 selon l’IFIP. Si la hausse vertigineuse des prix du porc constatée depuis le début de la FPA a incité les exportateurs de viande à accroître leurs envois vers la Chine, c’est avant tout par une réorientation de l’offre locale en viande que la Chine cherche à combler son déficit. En raison de son court cycle de production (30 à 80 jours), le report s’est naturellement orienté vers la production de volailles.

Deuxième viande consommée en Chine, la volaille a en effet connu une expansion rapide en 2019 (+ 12,3% en un an pour un volume de 23 Mt), malgré le déficit que connaît le secteur de l’accouvage en parentaux et grand-parentaux, c’est-à-dire la succession de générations de souches de volailles permettant de fournir des poussins en grand nombre pour la production commerciale de poulets.

Sur l’ensemble de l’année 2019, les prix se sont inscrits en nette hausse par rapport à l’année précédente pour le poussin (+ 56%) et le poulet vif (+ 14%), tandis que les prix de l’aliment, notamment du soja, restaient à des niveaux historiquement bas, la perte de production en porc laissant des disponibilités importantes en alimentation animale. Si les statistiques sont manquantes pour la filière canard, des sources industrielles et la presse professionnelle indiquent une évolution similaire.

Les perspectives à moyen terme sur la volaille étant prometteuses, de nombreuses entreprises y ont vu l’occasion de développer la production industrielle, mise à mal par les crises sanitaires répétées.. Aussi les annonces se sont multipliées en 2019, comme pour le leader New Hope Liuhe (9 % de la production chinoise en 2018) qui déclare vouloir faire passer ses volumes d’abattage annuel de 1,3 milliards à 2 milliards de volailles (+ 11 % / an) à horizon 2022. L’annonce de la levée des restrictions commerciales au profit de la France et des États-Unis sur la génétique aviaire en novembre et décembre 2019 a fait baisser les prix du poussin en fin d’année. Cela a contribué à favoriser des mises en place massives de volailles au début de l’année 2020. Des éleveurs de porcs ont parfois même rempli leurs bâtiments avec des canetons lorsque cela était possible.

En début d’année, les restrictions sanitaires appliquées par la Chine pour faire face à l’épidémie de coronavirus ont rapidement affecté la chaîne de production à tous les niveaux : transports d’alimentation animale et d’animaux finis perturbés, abattoirs en baisse d’activité, ralentissement voire arrêt des opérations de déchargement aux ports… Les élevages de volailles de la province du Hubei (500 millions de volailles abattues/an) ont dû faire face dans le meilleur des cas à une chute vertigineuse de leurs marges et plus souvent à la destruction immédiate de leurs animaux, en l’absence de stocks d’aliments ou de possibilité d’enlèvement des lots mis en place. . Selon l’USDA, la production de viande de poulet serait en baisse de 21 % au premier trimestre 2020.

Depuis la mi-mars, la situation semble s’améliorer en Chine avec de moins en moins de cas dépistés, et la région du Hubei, berceau de l’épidémie, est en levée progressive de confinement. Suite à cette embellie, le prix du poussin repart à la hausse et la marge des producteurs progresse tandis que les industriels bénéficient de soutiens financiers de l’État, mettant en avant des perspectives à moyen terme toujours favorables pour la production avicole, en substitution de la viande de porc, sous réserve d’une certaine stabilité du système sanitaire dans les prochaines années.

Ce contexte productif est à mettre en regard des tendances de consommation en Chine. Si le poids des marchés traditionnels dans les achats d’aliments frais est en recul progressif depuis une vingtaine d’années, ceux-ci restent un réseau de distribution incontournable pour le consommateur chinois, avec près de la moitié des achats d’aliments frais durant l’année 2018 selon une étude McKinsey. Le poids de la restauration, estimé entre 15% et 20% de la consommation de volaille en Chine, est toutefois grandissant. Si ce secteur est particulièrement affecté par les restrictions sanitaires actuelles, la recrudescence des achats en ligne, amplifiée par le confinement, pourrait favoriser à terme les découpes désossées, et donc la filière poulet blanc au détriment des filières de vente en vif (poulet jaune).

 

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