La Chine a-t-elle accru ses stocks de produits laitiers en 2021 ?

La tendance des prix des ingrédients laitiers est fortement corrélée aux achats chinois depuis plusieurs années maintenant. La Chine absorbe le quart des échanges internationaux avec 22 millions de tonnes équivalent lait (TEL) sur les 88 M de TEL estimées par la FAO.

En 2021, les achats chinois ont encore progressé et réduit de presque autant l’offre mondiale pour d’autres pays importateurs dans un contexte de contraction de la ressource laitière chez les exportateurs en cette fin d’année.

Les opérateurs de la filière se demandent quelle en est la pérennité pour l’année à venir. L’ombre de 2014 plane. A l’époque, l’optimisme régnait au vu de la croissance rapide des besoins de l’empire du Milieu. La brusque pause des achats chinois et l’embargo russe combinés au dynamisme de la production laitière lors de la suppression des quotas laitiers en Europe en 2015, avait entrainé un fort déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale et fait chuter les prix. Qu’en sera-t-il cette année ?

Forte hausse des importations de la Chine en 2021

La demande chinoise de produits laitiers a été particulièrement conséquente en 2021 malgré les difficultés logistiques à l’échelle mondiale. Les importations de matière grasse ont augmenté de près de +41% en crème et +13% en beurre. Les importations de poudre sont en hausse de +27% en poudre maigre et +32% en poudres grasses. Seule la demande en poudre de lait infantile a reculé de -22% sur 2021 /2020.

La Chine a ainsi asséché le marché mondial limitant les disponibilités pour les autres pays importateurs et a donc contribué à la hausse des prix mondiaux.

Au vu des difficultés logistiques à l’échelle mondiale, la Nouvelle-Zélande a su tirer parti de cette demande supplémentaire en passant des accords avec les transporteurs de containers internationaux. Ainsi, la dépendance de la Nouvelle-Zélande s’est, de fait, renforcée vis-à-vis du marché chinois qui a capté près de 51% des exportations totales de poudre de lait entier sur les onze premiers mois de 2021, contre 47% en 2020. De même en beurre, la part de marché de la Chine dans les exportations totales NZ est passée de 20% à 25% d’une année sur l’autre.

La demande en matière grasse explose

La consommation de beurre augmente en Chine notamment grâce au succès grandissant de la boulangerie et de la pâtisserie dans les grands centres urbains. La restauration hors domicile est également un poste de consommation.

La Nouvelle-Zélande, le premier exportateur de beurre mondial, et a fortement augmenté ses livraisons de beurre (+9% sur janv-nov 21 /2020) et de crème (+26%) vers la Chine tandis que ses exportations totales de beurre baissent. L’interdépendance des deux pays est importante car le beurre néo-zélandais représente 78 % des importations chinoises, et la crème made in New-Zeland environ la moitié des volumes.

La baisse de la collecte néo-zélandaise en deuxième partie de campagne 2021-2022, qui se termine en mai, se traduira nécessairement par une moindre fabrication de beurre. Il sera donc intéressant de voir si la Chine maintient son niveau d’achat en 2022 à des prix bien supérieurs. Si tel était le cas, cela priverait le marché mondial et notamment l’Australie, les Philippines, l’Arabie Saoudite ou encore la Russie pour ne citer que les plus gros importateurs de beurre NZ, conduisant nécessairement à des réajustements ou poursuite de la hausse des prix.

L’Union européenne est le deuxième fournisseur en beurre de la Chine, avec en tête la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. La progression de l’Irlande est importante car les volumes sont passés sur 11 mois de 600 t en 2020 à 1 940 t en 2021, ce volume devient supérieur à ceux de l’Allemagne.

Dans ce contexte de tension de l’offre à l’échelle mondiale, la forte demande du marché international permet de maintenir les prix sur des niveaux élevés. Les exports mensuels européens de beurre sont globalement stables, compris entre 15 et 20 000 t, sauf quelques exceptions durant le pic laitier. Toutefois, la saisonnalité est bien plus forte sur les exportations vers la Chine, qui comme le montre le graphique sont principalement faite au moment du pic laitier.

Les importations de poudres de lait ne sont pas en reste

Les importations de poudres grasses ont bondi de +32% sur la période de 2021/2020. Elles proviennent à près de 90 % de Nouvelle-Zélande et là aussi servent au secteur de la boulangerie/pâtisserie. Elles peuvent aussi être ajoutées à des boissons « santé » ou permettre d’augmenter la consommation de protéines animales.

Sur la poudre maigre, l’Océanie reste prédominante (près de 35 % de part de marché pour la Nouvelle-Zélande et 13 % pour l’Australie), suivie par l’UE-27 (environ 28%) et les Etats-Unis (près de 10%).

En effet, alors que les disponibilités aux Etats-Unis ne manquaient pas cette année, les volumes exportés vers la Chine ont doublé à plus de 44 000 t.

Dans l’UE, la saisonnalité du pic laitier reste visible dans les exportations surtout ceux de la France et l’Allemagne. Cette année, les volumes irlandais ont été légèrement décalés aux mois d’été.

Hausse des importations de fromages : effet de mode ou tendance long terme ?

Les importations de fromages ont augmenté de +36% en 2021/2020. Selon l’USDA, la consommation de fromages est de l’ordre de 0,2 kg/an/hab. soit très loin des standards européens de 18 kg/an/hab. Dans les régions laitières, certains habitants sont habitués à consommer du fromage fabriqué localement. La hausse de la consommation à l’échelle du pays se fait néanmoins sur de nouveaux modes de consommation. La Chine voit, elle aussi, la pizza gagner du terrain et augmente donc ses besoins en fromage type mozzarella. Les enfants sont aussi une nouvelle cible via des encas rapides à manger et souvent sucrés. Les fromages fondus sont ainsi privilégiés. Les fromages type parmesan (2100 t en 2021 en provenance d’Europe), gouda (4 300t) voire camembert (78 t) ou brie (105 tonnes UE) sont marginaux et approvisionnent le catering et quelques chaînes de la grande distribution, principalement à Shanghai.

Là aussi, la Nouvelle-Zélande reste prédominante mais l’UE-27 et les Etats-Unis sont également présents.

L’UE-27 a accru ses exportations de fromages, qui sont passées sur onze mois de 24 700 t en 2020 à 36 000 t en 2021. Cependant, cette progression n’a pas compensé le retrait du Royaume Uni, de -55 000 t sur la même période. Les exportations vers la Chine sont principalement des fromages frais dont de la mozzarella mais regroupent également des fromages à fondre ou râpé ainsi que des fromages à pâtes molles, demi-dures ou dures mais dans des quantités inférieures.

Les importations de fromages frais, dont la mozzarella, représentent en moyenne 66% des fromages états-uniens exportés vers la Chine. Les volumes de mozzarella sont en forte progression mais se réduisent durant le pic laitier malgré des fabrications assez stables autour de 170 000 tonnes mensuelles (cf graphique)

Mais les poudres infantiles sont délaissées

A l’inverse, les importations de poudre de lait infantile ont chuté preuve d’inflexion du comportement des parents chinois (-22% en 2021/2020). Certains se tournent vers des produits hauts de gamme et plus chers, comme des poudres issues de l’agriculture biologique, ou issues de lait d’autres animaux comme le lait de chèvre. D’autres privilégient désormais les laits infantiles fabriqués en Chine, d’autant que les fabricants nationaux ont d’avantage investi dans ces produits afin de compléter la gamme disponible. De plus, la règlementation chinoise a réduit le nombre de produits vendus pour une même marque et a imposé de nouvelles règles rendant plus long l’homologation des formules.

Dans ce contexte, les exportations européennes de poudre de lait infantile ont chuté de -24% /2020 vers la Chine.

Cette hausse est-elle liée à une augmentation de consommation ?

La question de la part consommée et de celle stockée est quasiment impossible à évaluer. Il est vrai que les tendances de consommation dans le pays demeurent globalement en hausse surtout en matière grasse liée à des changements de consommation. Le Covid-19 n’a pas dû changer fondamentalement la tendance, voire il a encouragé la consommation de produits laitiers. En effet, certaines publicités annoncent que ces produits permettent de mieux résister au Covid-19.

Par ailleurs, les problèmes logistiques provoqués par la crise sanitaire ont accru les délais de déchargement entrainant ainsi des concentrations de produits laitiers dans les ports ou en stockage flottant sur les bateaux. Cette incertitude quant à la livraison de la marchandise a pu provoquer des achats supplémentaires de précaution.

Dans ce contexte, il est probable que des stocks aient été faits. Au vu des prix mondiaux actuels, la Chine pourrait donc être moins présente durant l’année 2022 dans une certaine mesure.

Les chiffres d’importations au mois de décembre sont d’ailleurs décevants en volumes, ce qui pourrait n’être qu’un décalage vers le mois de janvier, ce qui sera à vérifier dans un mois. En effet, les contingents tarifaires à droits nuls de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie en début d’année, peuvent pousser certains acheteurs à attendre et ce d’autant plus que les prix sont élevés.

Quelle conjoncture pour 2022 ?

De nombreux opérateurs s’interrogent quant à un remake de 2014, année durant laquelle la demande chinoise et russe s’était brutalement repliée précipitant la chute des cours mondiaux des produits laitiers.

La première différence réside dans l’absence de dynamique laitière dans les principaux bassins excédentaires, en premier lieu dans l’UE. En 2015, la fin des quotas laitiers avait entrainé un fort rebond de la collecte européenne. Les voyants ne semblent pas au rendez-vous cette année pour que le scénario se reproduise. Outre la baisse de collecte plutôt structurelle chez les principaux pays producteurs européens, la conjoncture en termes de coûts de production n’incite pas à augmenter la collecte. Une baisse à court terme des prix de l’énergie et des intrants parait aujourd’hui peu probable.

Par ailleurs, la demande de l’Asie du Sud n’est pas non plus la même qu’en 2014. Celle-ci croît plus durablement avec moins d’à coup qu’en Chine et pourrait facilement s’intensifier dans les mois à venir si les cours mondiaux devenaient moins élevés.

Les marchés mondiaux des produits laitiers devraient demeurer fermes dans les prochains mois même en cas de moindres achats de la Chine, ce qui reste à confirmer. La principale force ou pouvoir de la Chine restant son imprévisibilité.

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