Avec la contribution de Jean-Marc Chaumet
L’année 2022 aura été difficile pour la Chine. Le covid-19 a entrainé d’importants confinements mettant en péril l’économie générale du pays. C’est aussi une année où le nombre de morts a été supérieur aux naissances. La population baisse pour la première fois depuis 60 ans.
Les industries laitières annoncent d’importantes pertes économiques basées sur une collecte en forte hausse dans un contexte de moindre demande en produits laitiers.
Hausse de la collecte malgré des coûts de production particulièrement élevés
En 2022, la collecte laitière en Chine a été supérieure de +6,8% /2021 selon les statistiques chinoises. Les analystes s’accordent plutôt pour une hausse entre +3 et +7% /2021 autour de 39 Mt.
Cette augmentation de la collecte est permise par une hausse du troupeau notamment grâce à des importations de bovins reproducteurs (+34% /2021 selon BOABC ce qui ferait près de 390 000 têtes).
En 2021, un tiers des bovins importés par la Chine était en provenance de la Nouvelle-Zélande. Toutefois, ces échanges prendront fin en avril 2023 car la Nouvelle-Zélande a voté en septembre 2022 l’interdiction des exportations d’animaux vivants (bien-être animal). Cette interdiction fait suite, notamment, au naufrage en 2020 du Gulf Livestock 1 qui a tué 41 membres d’équipage et 6 000 bovins.
En 2022, les coûts de production et surtout les coûts d’alimentation ont fortement augmenté (à dire d’expert environ +25% en un an). En effet, la production agricole céréalière chinoise a fait face à une météo adverse durant l’été. Début janvier 2023, le prix moyen du maïs en Chine était de 3,03 yuans/kg, soit une hausse de 5,2% /2022 et du tourteau de soja était de 4,97 yuans/kg, en hausse de 30% /2022. Par ailleurs, le foin de luzerne aurait augmenté de près de +35% en un an.
Dans le même temps, les prix du lait en Chine se sont dégradés durant l’année (-4% à 4,12 RMB/kg soit 55,8 c€/kg contre près de 60 c€/kg en décembre 2021), pénalisant encore davantage les petits éleveurs. De plus, il semblerait qu’il y ait un écart important entre le prix du lait officiel pour le premier trimestre 2023 à 4,10 RMB/kg dans la province de Hebei et le prix payé car le comité agricole a proposé de baisser les prix à 3,85 RMB/kg.
Vers plus de méga fermes
En février 2022, le ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales a publié son plan quinquennal pour améliorer la compétitivité de l’industrie laitière. L’objectif est d’atteindre les 41 Mt de production de lait d’ici à 2025 (ce qui pourrait être atteint dès 2023).
Pour cela, le gouvernement chinois a demandé aux provinces de subventionner la production de lait car elle est stratégique. Par exemple, la province du Liaoning va investir dans la logistique afin d’améliorer la chaine du froid notamment pour les produits laitiers.
De son côté, le gouvernement local de Jilin prévoit une subvention de 10 000 yuans/kg pour l’importation de taureau reproducteur et de 1 000 yuans/kg pour chaque vache pleine. Ces subventions vont surtout favoriser les grandes fermes, seules exploitations capables d’acheter ces bovins importés.
À dire d’experts, ces grandes fermes (supérieures à 100 vaches) représentent dorénavant 70% des exploitations laitières du pays avec en moyenne 7 430 vaches/exploitation. Dans la province du Ningxia, les fermes de plus de 500 vaches représentent 66% des exploitations laitières.
Dans la province de la Mongolie Intérieure (première productrice de lait), 23 méga fermes (>5 000 vaches) ont été construites en 2021, entrainant une hausse du cheptel de la province de +80 000 vaches. En 2022, 41 nouvelles fermes ont été construites (+100 000 vaches). Pour 2023, 15 fermes sont en cours de construction.
Dans le Shandong, 27 méga fermes ont été construites en 2021, 2 auraient vu le jour depuis en 2022.
A l’inverse, certains petits producteurs doivent cesser leur activité laitière car les transformateurs ne souhaitent plus venir les collecter, notamment ceux qui produisent moins de 10 000 litres/jour.
Difficultés de la transformation
La majeure part des fabrications chinoises est orientée vers les « produits liquides » tels que le lait de consommation UHT ou pasteurisé, les yaourts et produits fermentés.
Cependant, cette année, entre les confinements des grandes villes dus au covid-19 (fermeture des restaurants et supermarché, perte d’emploi) et l’inflation, le budget des ménages alloué aux produits laitiers est réduit. La consommation de lait liquide et de yaourts est donc fortement réduite. Selon BOABC, les ventes en ligne de 4 catégories de produits laitiers (produits laitiers à basse température, produits laitiers à température ambiante, produits à base de lait de chèvre et laits en poudre) ont baissé de 36% sur les 9 premiers mois de 2022. Selon un analyste chinois, c’est la première fois en vingt ans qu’il constate une baisse de la demande en produits laitiers.
Quand cela était possible, le lait supplémentaire a été séché en poudres de lait grasses. Toutefois, les capacités de séchage sont nettement inférieures au lait disponible.
Les coûts d’alimentation élevés et un marché atone exercent une pression forte sur la production laitière depuis plusieurs semaines. Entre l’impact du Covid-19 sur la consommation de produits laitiers et l’expansion accélérée de l’élevage laitier à travers davantage de mégafermes au cours des deux dernières années, l’équilibre entre l’offre et la demande de lait a été rompu.
Dans les circonstances actuelles, de grandes exploitations maintiennent à peine leur activité et les fermes de petites et moyennes tailles se retrouvent dans des situations difficiles car moins capables de résister à la volatilité du marché. Certaines n’avaient pas encore reçu de contrat de collecte avant la fin 2022. Des transformateurs ont commencé à limiter leur collecte de lait, notamment en ne pas renouvelant pas des contrats avec des éleveurs.
Aussi de plus en plus de journaux chinois remontent des échos de lait jeté et de vaches abattues. Les éleveurs cherchent à les engraisser pour la viande mais au vu des couts d’aliment, l’opération n’est guère rentable.
Selon un article de la Hebei Dairy Association, l’excédent de lait cru séché en poudre serait de 4 000 t/jour dans la province de Hebei. Les coûts de séchage seraient nettement supérieurs aux prix de vente possible actuellement. Pour soutenir les grands groupes laitiers, les principales régions de production comme la Mongolie intérieure aurait prolongé les subventions pour la production du poudres grasses jusqu’en 2023 (USDA).
Plusieurs transformateurs laitiers ont déjà annoncé que leurs résultats 2022 seraient décevants, pas seulement dans les laits infantiles, avec des bénéfices en recul. Après un bon premier semestre, les résultats pour le 3ème trimestre 2022 du premier laitier chinois, Yili, ont déjà affiché un bénéfice en recul de 27%, malgré une hausse du chiffre d’affaires de près de 7%, entraînant une chute du cours en bourse de 10%.
À quoi ressemblera 2023 ?
La levée de la stratégie zéro covid à la fin 2022 va certainement permettre aux consommateurs de retourner dans les restaurants et supermarchés. La consommation de produits laitiers sur les derniers mois de 2022 et pour les festivités du Nouvel An pourrait se reprendre. Mais si la reprise des ventes pendant le Nouvel An chinois ne répond pas aux attentes des industriels, la pression sur la production laitière sera encore plus grande au cours des semaines à venir.
Toutefois, au-delà de cette période, la baisse de pouvoir d’achat des ménages laisse des doutes sur un retour durable de la consommation en produits frais (lait de consommation et yaourts), même si la croissance de la consommation des ménages semble être une des priorités des autorités chinoises : 25 des 31 provinces du pays ont érigé cette consommation comme une des priorités pour 2023.
Sur les produits secs, malgré des baisses d’importations de poudres en 2022 (-21% en poudre maigre et -17 % en poudres grasses), la hausse des fabrications locales entraine la création de stocks particulièrement importants. Dans ce contexte, il semble difficile d’imaginer un fort retour de la Chine aux achats.
En revanche, les produits tels que le beurre, la crème, le fromage et les poudres de lait infantile et pour séniors devraient toujours bénéficier d’une forte demande notamment à l’import.
Ces perspectives restent également dépendantes du contexte sanitaire et économique dans le pays et en l’absence de guerre à Taiwan.