Une réorientation vers plus d’autosuffisance?

Par Jean-Marc Chaumet

Face à ces contraintes croissantes sur la capacité chinoise à assurer son alimentation, les autorités chinoises ont lancé le concept de « circulation duale ». Il a été proposé pour la première fois comme une stratégie économique au milieu de la pandémie de Covid-19 en mai 2020, lorsque le commerce mondial a été fortement entravé et a été réitéré au 2nd semestre 2020 alors que le contexte international devenait plus hostile. Ce concept est censé proposer un modèle de développement s’adaptant à « un monde plein d’instabilité et d’incertitude » et doit guider l’économie chinoise pour les décennies à venir. Cette double circulation représente plus une accélération du rééquilibrage économique déjà en cours depuis plusieurs années : augmenter la production locale pour la consommation locale et stabiliser le commerce extérieur.

Il s’agit de favoriser la circulation interne (cycle national de production, de distribution et de consommation), grâce au marché intérieur qui doit devenir un vrai relais de croissance alors que la demande mondiale faiblit. L’accélération de l’élargissement du marché intérieur, voulue par cette politique, devrait affecter non seulement les exportations, à travers une réorientation des produits chinois, mais également les importations, pour limiter la dépendance à l’étranger dans plusieurs secteurs. Avec plus de sanctions commerciales et technologiques imposées par les États-Unis vis-à-vis de la Chine, une plus grande autonomie, mobilisant les débouchés intérieurs et la technologie nationale, devient une priorité.

Cette orientation devrait aussi permettre de renforcer la résilience de l’économie chinoise aux chocs externes. Certains experts y voient le début d’un découplage vis-à-vis des clients chinois et notamment des Etats-Unis, dans un contexte de confrontation croissante avec la 1ère puissance économique mondiale et de volonté de relocalisation affichée par de nombreux pays, dont le Japon, l’Australie….

Mais la circulation externe, c’est-à-dire les échanges avec l’extérieur,n’est pas abandonnée pour autant.Les industries exportatrices chinoises seront maintenues, les entreprises étrangères conservées sur le sol chinois, les investissements étrangers encouragés, notamment dans les hautes technologies, et les importations « modérées » poursuivis.


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2018-2020 : les objectifs de politique agricole mis à mal

Par Jean-Marc Chaumet

Tout d’abord, l’apparition de la Fièvre Porcine Africaine en août 2018 dans le pays a placé les autorités face au dilemme de choisir entre limiter l’inflation, conserver un niveau élevé d’autosuffisance en viande porcine et appliquer une nouvelle politique environnementale.

Ensuite, dans le contexte de la guerre commerciale avec les États-Unis, une détente momentanée a résulté en un accord commercial, signé en janvier 2020, engageant les autorités chinoises à importer des produits étatsuniens, notamment agricoles, en grandes quantités. Cet accord, non seulement, va à rebours de la stratégie chinoise de diversification des importations agricoles, mais en plus renforce les liens commerciaux agricoles, du moins sur le papier, avec son premier adversaire au plan géopolitique.

Dans les faits en 2020, avec 23 milliards de dollars, la Chine a fortement augmenté ses achats de produits agricoles étatsuniens par rapport à 2019 (+66%/2019 et pratiquement autant qu’en 2017, avant le début de la guerre commerciale), mais n’a pas pu honorer ses engagements, fixés à des 36 milliards de dollars.

En 2020, la Chine devrait acheter plus de 43 milliards de dollars de produits agricoles, mais serait début 2021, en-dessous du niveau attendu par les États-Unis.

Enfin, la crise de la Covid-19, et les ruptures de chaînes d’approvisionnement qu’elle a engendrées, aussi bien à l’intérieur du pays que dans le commerce international, a montré aux dirigeants chinois la vulnérabilité de leur pays en cas de défaut d’approvisionnement de certains de leurs fournisseurs. Car dans le même temps, les importations agricoles chinoises ont poursuivi leur pente ascendante en dépassant les 180 milliards de dollars en 2020 et le déficit agricole chinois s’est de nouveau creusé en 2020 pour atteindre 90 milliards de dollars.


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La Chine sous pression alimentaire

Par Jean-Marc Chaumet

Les deux dernières années ont mis à l’épreuve la politique agricole chinoise et les objectifs d’autosuffisance en produits stratégiques (grains, porc,…), de maîtrise de l’approvisionnement alimentaire et de diversification des importateurs.

Cet article a pour objectif d’analyser la situation alimentaire et commerciale chinoise depuis 2019 ainsi que la nouvelle orientation politique décidée ces derniers mois.

2018-2020 : les objectifs de politique agricole mis à mal

Une réorientation vers plus d’autosuffisance ?

Un renforcement de la production nationale

Diversification des sources d’approvisionnement agricole

Vers un renforcement des liens agricoles sino-russes?

Par Jean-Marc Chaumet


La guerre commerciale avec les États-Unis va-t-elle rapprocher la Chine et la Russie, notamment à travers une intensification du commerce agricole entre la Chine et La Russie ? La question mérite d’être posée.

Dans sa stratégie de diversification de ses approvisionnements, pour réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, la Chine cherche à tirer parti de toutes les ressources disponibles. Et dans la mesure du possible, son objectif est de réorienter ses achats vers des pays émergents, particulièrement ses partenaires au sein du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud), et / ou avec lesquels elle possède des intérêts stratégiques convergents. Elle se rapproche notamment de la Russie. Après une rupture dans les années 60 et 70, les deux pays se sont rapprochés et leur relation atteint maintenant le point de « partenariat et interaction stratégiques », avec comme cible commune Washington.

Partenaire stratégique de Pékin, même si méfiante vis-à-vis des nouvelles routes de la soie, elle n’est encore qu’un partenaire commercial de second plan, en particulier dans le domaine agricole. Les achats chinois de produits agricoles et alimentaires en provenance de Russie n’ont atteint que 2,7 milliards d’euros en 2018, soit seulement 2 % des importations de l’Empire du Milieu.

Pourtant, les relations agricoles entre les deux pays sont pourtant anciennes. Dès les années 1990, une migration chinoise a débuté vers la Russie pour mettre en valeur des terres abandonnées lors de la chute du communisme et la réforme agraire qui a suivi. Ce mouvement a d’abord été
le fait d’agriculteurs chinois, motivés par la recherche de travail. Engagés comme ouvriers dans les fermes d’états russes, ils ont ensuite loué des terres pour y cultiver des légumes destinés aux marchés locaux. Puis, dans les années 2000, vinrent les entreprises chinoises, publiques comme privées, à la recherche de profits, dans les secteurs des grains (soja et maïs) et les légumes secs, mais également dans les productions animales (porc, lait).

Pour l’instant, la Russie fournit surtout des produits de la pêche et de la pisciculture (poissons congelés, crustacés…) qui représentent les 2/3 des importations chinoises agricoles en valeur en provenance de son voisin et 18 % des achats chinois de ces produits. Mais les importations en provenance de Russie ont plus que doublé entre 2014 et 2018. Après avoir été positive entre
2010 et 2015, la balance commerciale agroalimentaire de la Chine avec la Russie est ainsi redevenue déficitaire à partir de 2016 pour atteindre un record historique de 1 milliard d’euros. La politique agricole russe d’augmentation de la production nationale, suite à l’embargo
sur les produits européens et étatsuniens, ainsi que la dépréciation du rouble, ont tiré les exportations russes. Et, en novembre 2018, Vladimir Poutine a mentionné que, suite au conflit commercial avec les États-Unis, la Russie pourvoira la Chine en poulet et soja.

La montée des tensions avec les États-Unis a poussé à l’intensification des flux de soja, dont les exportations vers la Chine ont doublé entre 2016 et 2018, mais ne représentent qu’1 % des importations chinoises.

Des accords sanitaires ont été trouvés pour l’exportation de viande de poulet russe à partir de 30 entreprises russes. Le groupe Cherkizovo, le plus grand producteur de viande en Russie, a commencé à expédier des produits à base de volaille en Chine en mai 2019 et envisage maintenant d’y vendre du porc et du soja.

Si la Chine dispose de capitaux, de savoir-faire et de main-d’œuvre, la Russie cherche, pour sa part, à développer son secteur agricole et les zones rurales de l’extrême Est du pays. Cette forte complémentarité devrait permettre de rapprocher encore les deux pays, sans que la Russie ne puisse remplacer les Etats-Unis comme 2e partenaire agricole de la Chine, derrière le Brésil.

L’expérience Synutra, de la difficulté de trouver le bon partenaire sur le marché chinois

Si le marché chinois des produits laitiers reste une valeur sûre pour les exportateurs, la difficulté réside souvent dans l’approche du marché et, le cas échéant, dans le choix d’un partenaire fiable. Les investissements de Synutra en France ont été massifs et réalisés dans un laps de temps relativement court. Après l’euphorie, les importantes difficultés de cette stratégie ont mené à une grande déconvenue.

Pourtant, sur le papier, l’affaire semblait bien engagée. Francophile, Liang Zhang, Président de Synutra, a également été l’un des premiers en Chine à prôner les investissements à l’étranger après le scandale de la mélamine, alors que les autres industriels laitiers chinois suivaient encore le Gouvernement dans la voie exclusive de rétablissement de la filière nationale dans une volonté d’autosuffisance. Il est intéressant de constater que, par la suite, toutes les grandes entreprises laitières chinoises ont suivi la stratégie de Synutra en investissant hors de Chine.

Synutra a réalisé les premières exportations de poudres de lait infantile depuis la Bretagne fin 2016. La firme a obtenu, dans le cadre de la nouvelle réglementation chinoise, les agréments pour ses recettes dès le mois de septembre 2017, a mis en place un marketing important centré sur l’origine France (voir photo) et s’est positionnée sur le segment haut de gamme. Mais les ventes ne sont visiblement pas à la hauteur des ambitions initiales. Le business plan sûrement trop ambitieux, compte tenu de la concurrence sur le marché chinois des poudres de lait infantile, et les problèmes techniques et organisationnels lors de la phase de réglage de l’usine de Carhaix ont considérablement fragilisé tout l’édifice en construction. L’activité de Synutra dans les produits laitiers est à plus de 90 % dépendante des poudres infantiles de lait de vache. Les ventes de poudres infantiles de lait de chèvre, réalisées à partir de matières premières laitières provenant d’Espagne, et les poudres pour adultes sont en progrès, mais ne permettent pas de rétablir l’équilibre des comptes en cas de méventes sur les produits phares. Face au remboursement des investissements consentis et aux créances des fournisseurs, Synutra se trouve dans une situation financière intenable, que même une réduction des charges de fonctionnement en Chine (réduction de salaire, diminution des primes,…) n’a pu jusque-là redresser.

Synutra, comme quasiment toutes les entreprises chinoises, avait été fortement impactée par le scandale de la mélamine en 2008 et avait connu entre 2009 et 2013, quatre années de résultats négatifs. Mais les chiffres des dernières années disponibles (2014, 2015 et 2016) montraient des résultats positifs, avec plus de 20 millions de dollars de bénéfices au 1er mars 2016, même si en recul par rapport à 2015. La sortie du Nasdaq en mai 2017 pour une domiciliation aux îles Vierges, suivie de l’absence de la publication des comptes en 2017 (excepté le 1er trimestre de Synutra France montrant un résultat fortement négatif), peut après coup être interprétée comme une fuite en avant pour tenter de cacher la mauvaise santé financière croissante de l’entreprise. Pourtant Synutra a investi en Chine en 2018 en rachetant en mai la société Shengda Yak dairy, située dans le Yunnan et fabriquant de poudres de lait de yak, puis en juin Jinyuan Dairy Co., Ltd., une société spécialisée dans les poudres de lait infantiles située dans le Henan (capacité annuelle de 3 500 tonnes de poudres de lait et des actifs estimés à 60 millions de RMB (environ 7,7 millions d’euros)). L’objectif affiché est d’élargir sa gamme de produits limitée par la nouvelle réglementation chinoise.

À notre connaissance, le groupe Synutra Chine n’a pas communiqué sur ces problèmes. Aucun article sur l’internet chinois ne fait état des difficultés de l’entreprise mais la presse chinoise a relayé l’information concernant l’erreur de livraison de Triskalia et la possible présence d’antibiotiques dans le lait produit, en parlant de nouvel incident sanitaire français, après l’affaire Lactalis.

Le défi de trouver le bon partenaire en Chine

Cette mésaventure n’est pourtant pas unique dans l’histoire des relations entre entreprises laitières chinoises et étrangères. Trouver le bon partenaire n’est pas toujours chose aisée en Chine. On peut ainsi rappeler qu’en 2008 Fonterra était associée à l’entreprise chinoise leader sur le marché des poudres de lait infantiles, Sanlu, qui fut au coeur du scandale de la mélamine. Sanlu a disparu, en partie rachetée par ses concurrents et sa présidente condamnée à la prison à vie.

En 2015, Fonterra, qui n’a pas renoncé au marché chinois, crée une coentreprise avec la société Beingmate, spécialisée dans la nutrition infantile, et se porte également acquéreur de près de 19 % du capital de son partenaire chinois, pour près de 50 millions d’euros. En 2017, Beingmate a annoncé un résultat négatif pour la deuxième année consécutive (130 millions d’euros en 2017 après plus de 100 millions en 2016) et, début 2018, le cours de son action a été divisé par 3 par rapport à son niveau de 2015. Ces résultats ont contribué au départ précipité du PDG de Fonterra au 1er semestre 2018.

FrieslandCampina a également pu juger de ses mauvais choix en matière d’investissements et de partenariats en Chine. En 2014, la coopérative néerlandaise investit 90 millions d’euros dans une co-entreprise avec la firme chinoise Huishan et entre également au capital de l’entreprise pour 24 millions d’euros. En 2017, Huishan connaît de graves difficultés financières, incapable de rembourser ses créanciers. Le cours de son action perd 90 % de sa valeur en une journée et la responsable financière de la firme disparait des radars. FrieslandCampina, qui subit des pertes estimées à plus de 60 millions d’euros, a racheté la totalité des actifs de la coentreprise pour 2 millions de dollars.

Danone n’a pas non plus été épargnée par les mauvais investissements. En 2014, l’entreprise française acquiert 25 % de Yashili, spécialisée dans les poudres infantiles et les poudres de lait de soja. Mais depuis 2015, l’entreprise chinoise n’affiche que des résultats négatifs et Danone a vu sa participation se déprécier.

Face à un marché chinois très demandeur en produits laitiers importés, le principal défi pour les entreprises laitières reste de trouver la bonne clé d’entrée. Certains opérateurs semblent avoir réussi : Arla, mais également Danone ont misé sur le n°2 laitier chinois, Mengniu en entrant au capital et en créant une coentreprise de yaourt pour Danone. Nestlé a initié sa présence en Chine dès 1990 grâce à une coentreprise avec une petite société d’État locale, Shuangcheng City Dairy Industrial Corporation, dans le Heilongjiang, avant d’entrer dans d’autres associations avec des partenaires de dimension locale (Hong-Kong, Qingdao) puis de créer des filiales en propriété exclusive. Citons également le partenariat entre Isigny Sainte Mère et H&H qui semble pour l’instant donner pleine satisfaction aux deux partenaires.

Le type de produits laitiers joue également un rôle. Si le marché des poudres de lait infantile est très rémunérateur, il est également de plus en plus concurrentiel, notamment depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation imposant l’enregistrement de toutes les recettes. Le marché du lait liquide parait en revanche saturé comme celui des poudres grasses. Nestlé vient par exemple de réduire à 5 % sa participation au capital d’une usine de fabrication de poudres en Chine, pour se focaliser sur des marchés plus porteurs, comme les yaourts, les crèmes ou les fromages.

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