Par Jean-Marc Chaumet
Touchée dès le mois de janvier par la Covid-19, la Chine a mis en place juste avant le Nouvel An Chinois (25 janvier) des mesures de confinement strictes pour tenter d’enrayer la propagation du virus. Ces mesures ont freiné le retour des employés chinois partis dans leur famille passer les vacances du Nouvel an. Elles ont également eu pour conséquence de limiter fortement la consommation hors-foyer, notamment dans les hôtels et restaurants mais également dans les écoles où plus de 20 millions d’élèves bénéficient d’une distribution de produits laitiers. De nombreux villages ont également mis en place des barrages interdisant la traversée, par peur de contamination, compliquant ainsi fortement le transport à travers le pays.
La production laitière touchée par les mesures sanitaires
Pour la production laitière, ces mesures se sont traduites par des interruptions de livraison de médicaments vétérinaires et d’aliments du bétail. D’une part, les usines, d’alimentation animale et de médicaments sont restées à l’arrêt pendant plus de deux semaines. A la mi-février, seules les 2/3 des entreprises d’alimentation animale avaient repris leur activité d’après les annonces officielles. D’autre part, le transport a été fortement perturbé par les barrages dressés à l’entrée des villages. La main d’œuvre fit également défaut dans les entreprises de production laitière. Il en a résulté une hausse des coûts de production chiffrés par les experts chinois à 10% au cours du 1er trimestre, liée à la rareté de l’alimentation, de la main d’œuvre et des transports, mais également aux mesures préventives face au Covid-19 (achat de moyens de protection, mesures de distanciation notamment dans les dortoirs…).
Dans le même temps, le prix du lait a commencé à reculer dès février. Alors qu’il était de 3,87 RMB/kg (0,50€/kg) en janvier, le prix moyen du lait des 10 premières provinces productrices n’affichait plus que 3,57 RMB/kg fin juin, un recul de près de -8% en 5 mois. Mi-juillet, il demeurait légèrement au-dessus à son niveau de 2019 (+1%). Mais cette moyenne nationale cache des baisses parfois plus importantes dans certaines régions, des entreprises ayant au plus fort de la crise annoncé des réajustements de prix deux fois par semaine.
Car face à la baisse de consommation, les transformateurs ont dû gérer des livraisons de lait supérieures à leurs débouchés. En outre, le manque de personnel a également affecté les capacités de transformation. Certaines laiteries ont refusé du lait et la plupart ont dû transformer l’excès de lait collecté en poudres grasses. Entre 10 000 et 15 000 tonnes de lait auraient ainsi quotidiennement été transformées en poudres grasses au plus fort de la crise en février. La fabrication de poudres grasses en grandes quantité s’explique d’une part par la saturation des stocks de produits de grande consommation (lait liquide, produits fermentés) mais également par l’absence de possibilité de report vers des produits à longue durée de conservation comme le mix produit poudre maigre/beurre ou les fromages. Au final, les estimations concernant les poudres grasses, montrent que les stocks auraient dépassé les 300 000 t au mois de mars 2020, soit le double des volumes de 2019.
Des nombreux éleveurs laitiers ont été dans l’obligation de jeter du lait, en raison des difficultés de transport pour acheminer leur production, mais également compte tenu de la situation des transformateurs (saturation des capacités de séchages, retour tardif des employés, manque de main d’œuvre, rupture de la chaîne d’approvisionnement en produits laitiers…) Début février, ce phénomène était rapporté dans 13 provinces du pays. Les élevages laitiers ne bénéficiant pas de contrats avec des transformateurs en grande majorité de petites fermes, et livrant à de petites structures, ont été les plus vulnérables dans cette situation.
Les grandes entreprises de production laitière ont pu compter sur le soutien des grands transformateurs laitiers qui ont débloqué des financements sous forme de prêts ou d’avances sur le paiement du lait. Afin d’encourager les transformateurs à collecter le lait, certaines provinces chinoises ont mis en place un système de subventions, de 0,2 RMB/kg de lait collecté.
Malgré l’impact du Covid-19, la production laitière nationale aurait progressé de près de 8% /2019 sur le premier semestre selon les données du Bureau national des Statistiques, confirmant la tendance affichée en 2019. Malgré des confirmations de terrain attestant d’une hausse de la collecte, ce chiffre semble cependant très élevé. Les données annuelles du Bureau National des Statistiques permettront peut-être d’avoir dans 6 mois une autre estimation de la production.
Le recul de la consommation a affecté les résultats des transformateurs
Les résultats économiques des transformateurs sur les 3 premiers mois de l’année ont été fortement impactés par une hausse des coûts de fabrication et une baisse des ventes, notamment lors du Nouvel An chinois. Les ventes de produits laitiers lors des 10 jours de congés du Nouvel An chinois représenteraient entre 10% et 12% du chiffre d’affaires annuel. Les consommateurs chinois ont pris l’habitude d’offrir aux membres de leur famille ou à leurs amis lors de visites de courtoisie des produits laitiers haut de gamme, sur lesquels les transformateurs chinois réalisent l’essentiel de leurs marges. Représentant habituellement environ 25% des achats pendant le Nouvel An, la proportion des « cadeaux » aurait été divisée par 3 cette année.
Les ventes ont été affectées par la baisse des achats au détail, mais également par le recul des ventes dans les restaurants, les cinémas…Les entreprises ont tenté de compenser ces baisses d’activité par la mise en place de ventes à domicile, d’achats de groupes dans les résidences sans que les acheteurs ne sortent de l’enceinte, et par les ventes sur internet. Sur le 1er trimestre, les ventes à domicile auraient doublé pour le lait liquide et les yaourts et augmenté de près de 40% pour les poudres infantiles.
Si le prix facial des produits n’a pas baissé, les transformateurs se sont vus contraints de procéder à d’importantes promotions pour écouler leurs produits, entraînant une baisse du prix de vente moyen. Les coûts de main-d’œuvre, de fabrication, de stockage ont augmenté. La durée moyenne de stockage des produits d’Yili a par exemple bondi de 60% au plus fort de la crise. Les transformateurs ont également été incités à faire des dons d’argent ou de produits, notamment pour les hôpitaux.
Ainsi, le chiffre d’affaires des 561 transformateurs chinois (dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 20 millions de RMB) a reculé de 2% sur le 1er trimestre et les profits de 65%. 70% de ses sociétés ont annoncé une baisse de leur résultat et le nombre de celles enregistrant des pertes a doublé par rapport à 2019 pour atteindre près de 40% du total. Mais les ventes auraient progressé en avril et mai, permettant un rebond du chiffre d’affaires sur les 5 premiers mois de l’année de plus de 3% /2019.
Toutes les entreprises n’ont pas été touchées avec la même intensité.
Les transformateurs régionaux fabricants du lait liquide et/ou des produits laitiers frais ont été les plus touchés, affichant une baisse du chiffre d’affaire et des profits de -7% et -90% respectivement. Ainsi Yantang a vu son bénéfice chuter de 90%, Sanyuan enregistre près de 120 millions de RMB (15 millions €) de pertes, New Hope plus de 40 millions (5 millions €)…
A l’inverse, le chiffre d’affaire et les profits des fabricants de poudres de lait infantiles, comme Feihe ou Ausnutria, ont progressé de 17% et 63% respectivement. Cette évolution à contre-courant s’expliquerait par les achats importants des ménages craignant la pénurie, et la constitution de stocks par les familles. De nombreux ménages sont en effet inquiétés de la rupture des chaînes d’approvisionnement au sein du pays, mais également à l’international, les principaux pays fournisseurs de poudres de lait infantiles étant touchés par la pandémie. En outre, plusieurs canaux d’importation ont été interrompus depuis février, comme les envois privés par la poste et les achats sur des sites internet étrangers.
Les leaders laitiers chinois ne sont pas épargnés. Le chiffre d’affaire de Yili a ainsi reculé de 11% et son bénéfice a été divisé par 2.
Une des conséquences de la Covid-19 pourrait donc être une accélération de la concentration du secteur de la transformation à travers la fermeture de petites et moyennes laiteries durement touchées par la crise.
Les annonces d’investissements montrent une confiance dans l’avenir du secteur laitier
Depuis avril, de nombreuses annonces de création d’exploitations laitières ont fleuri, démontrant la volonté de la filière de ne pas laisser la crise sanitaire perturber son développement. Ainsi, en mars, Junlebao a débuté la construction d’une exploitation de 12 000 têtes dans le Hebei. En avril, le leader Yili et Ningxia Nongken Group ont annoncé un projet d’exploitation de 50 000 têtes. La même société prévoit d’investir environ 12 milliards de yuans (soit 13% de son chiffre d’affaires 2019) dans le Shandong de 2020 à 2025 pour construire 30 fermes de démonstration standardisées de 6 000 à 12 000 têtes. Enfin, Yili a commencé en juin la construction d’un site modèle « écologique » de 300 000 animaux laitiers en Mongolie intérieure. Toujours en Mongolie intérieure, Youran Farming va créer trois fermes à Hohhot, de 6 000, 10 000 et 12 000 têtes.
Ce cycle d’investissement dans la production semble destiné à sécuriser l’approvisionnement en amont et en même temps à prévenir les risques d’approvisionnement en matières premières que la situation épidémique mondiale peut entraîner. Il est facilité par des politiques préférentielles mises en œuvre par les gouvernements locaux pour attirer les investissements.
Des importations en hausse sur le 1er semestre
Sur le 1er semestre de l’année, les importations chinoises de produits laitiers ont globalement augmenté.
Les baisses concernent surtout la poudre maigre (12%/2019) et dans une moindre mesure le lait liquide (-1%) et les laits infantiles (-1%).
Les volumes de poudres grasses importés ont été réduits en début d’année, compte tenu de la hausse des stocks locaux, mais ont progressé ensuite. Les importations de lactosérum ont bondi de +32% pour alimenter le rebond du cheptel porcin et celles de beurre de +40% pour compenser les faibles achats de 2019.
Les achats de fromages se poursuivent dans la tendance de 2019 tandis que les achats de crème, moroses ente mars et mai, ont bondi en juin, malgré la très forte hausse enregistrée en 2019.
Les importations chinoises se sont donc globalement affiché une hausse sur le 1er semestre. Des incertitudes pèsent néanmoins sur les achats de poudres grasses et maigre ainsi que sur ceux de laits infantiles au 2nd semestre.