Montée en puissance des leaders industriels laitiers chinois

Par Jean-Marc Chaumet

Le nouveau Top 20 des industriels laitiers publié par la Rabobank en août montre une nouvelle progression des 2 leaders chinois. Ainsi, Yili, dont le chiffre d’affaires a progressé de +13% /2018 en monnaie locale, est passé de la 8ème à la 5ème place. Il devance ainsi Fonterra et FrieslandCampina et se place juste derrière Danone. Mengniu a suivi le leader chinois en gagnant deux places pour se positionner au 8ème rang.

 

« Yili et Mengniu sont également 113ème et 129ème dans la liste 2019 des plus grosses entreprises chinoises, tous secteurs confondus, dont le 1er rang est dévolu à China Petroleum (400 milliards de dollars de chiffre d’affaires).

Ces classements illustrent la montée en puissance des deux entreprises chinoises. La publication de la Rabobank a été abondamment commentée par la presse chinoise qui y voit le résultat de nombreuses années d’effort du secteur laitier national qui ferait maintenant partie intégrante de la puissance de la Chine. Elle vient également conforter de nombreux experts chinois qui estiment que ce secteur a atteint les standards mondiaux aussi bien en termes de qualité sanitaire que d’innovation.

Le prochain objectif de Yili est d’ailleurs de devenir le numéro un mondial de l’industrie laitière et d’entrer dans le top cinq mondial des aliments santé.

Mais cette croissance n’est pas encore comparable à celle des autres entreprises du top 20. Les produits chinois n’ont pas encore conquis les consommateurs du monde entier.  Les deux leaders chinois réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires à l’intérieur des frontières de leur pays tandis que la part des exportations ou des implantations à l’étranger de leurs concurrents directs (Nestlé, Lactalis, Danone, Fonterra, FrieslandCampina…) ne cesse de croître. Ils dépendent donc presque uniquement du marché chinois et ne sont pas encore devenues des Global Players.

Des exportations limitées

Déjà faibles avant 2008, les exportations de produits laitiers chinois se sont en effet effondrées après la crise de la mélamine. Elles ont peu à peu progressé pour dépasser 900 millions de dollars en 2019, mais sont destinées à près de 50% à Hong-Kong qui en réexporte une partie.

Ces exportations sont majoritairement composées de peptones à destination des Etats-Unis, du Japon et de la Russie, ainsi que poudres de lait infantile expédiées à Hong-Kong. Les exportations de poudres grasses, qui atteignaient 200 000 t en 2008 ont chuté et ne représentent plus que quelques milliers de tonnes.

En outre, des pays comme l’Inde, n’ont toujours pas levé l’embargo sur l’importation des fabrications laitières de l’Empire du Milieu.

Des implantations à l’étranger plus difficiles

Les investissements chinois dans le secteur laitier à l’étranger ont été largement documentés, qu’ils aient eu lieu en Nouvelle-Zélande, en Australie ou en Europe. Mais la majorité de ces achats ont pour but d’alimenter le marché chinois, notamment en poudres de lait infantile.

Depuis quelques années, les deux leaders chinois tentent de développer leur chiffre d’affaires sur de nouveaux marchés, alors que la compétition en Chine est féroce. Pour se forger une stature de global players, Yili et Mengniu doivent donc diversifier leurs débouchés en pénétrant d’autres marchés. La réputation des produits chinois n’aidant pas à leur exportation, leur stratégie consiste à transformer et vendre des produits laitiers fabriqués hors de Chine.

Des investissements dans les grands bassins laitiers ont poursuivi cet objectif. Certains produits de Mengniu fabriqués en Nouvelle-Zélande, comme la marque Deluxe, sont dorénavant exportés vers la Malaisie et le Cambodge, après Hong-Kong et Macao. En 2019, Mengniu a racheté le fabricant australien de poudres de lait infantile biologiques, Bellamy. La même année, Yili a racheté la coopérative néozélandaise, Westland, qui doit s’intégrer dans la « route de la soie laitière d’Yili » et permettre de « fournir au monde entier encore plus de produits incroyablement purs appréciés et qui ont la confiance des consommateurs du monde entier » d’après le directeur d’Yili.

Mais cette stratégie se heurte aux relations internationales tendues. Fin août 2020, Mengniu a annoncé ne pas avoir reçu l’autorisation du gouvernement australien pour racheter le 2ème transformateur laitier du pays, Lion Dairy au japonais Kirin. Le refus aurait été motivé pour des raisons diplomatiques qui peuvent s’expliquer par le récent regain de tension entre les deux pays qui s’est déjà matérialisé par des sanctions sur les exportations australiennes de viande bovine et d’orge.

Une autre solution consiste à investir dans les pays consommateurs, par rachat d’entreprises existantes ou par la création de nouveaux sites de fabrication. Les pays ciblés ne sont plus les grands bassins laitiers, mais les pays asiatiques proches de la Chine, où la consommation de produits laitiers progresse rapidement et qui sont inclus dans le projet chinois des « nouvelles routes de la soie », comme l’Indonésie et la Thaïlande.

L’Indonésie, importatrice nette de produits laitiers pour près de 75 % de ses besoins, est ainsi devenue la première cible des géants chinois.  Yili a créé une filiale en Indonésie « Green Asian Food Indonesia Co., Ltd » spécialisée dans les glaces. Mengniu a également ciblé ce pays où il a construit une usine de boissons lactées et de produits fermentés, Mengniu YoyiC Dairy Factory.

D’autres pays sont également ciblés. Fin 2018, Yili a annoncé l’acquisition du plus important fabricant de glaces de Thaïlande, Chomthana. La même année, Yili a émis l’intention de racheter 51 % d’un transformateur laitier pakistanais, dans l’objectif de prendre place sur ce marché et de poursuivre son internationalisation. Le projet n’est pas allé à son terme.

Mais la volonté des entreprises chinoise se heurte souvent à la réticence des pays cibles. Malaisie et le Myanmar ont exprimé des réserves sur des projets chinois chez eux, au point de refuser leur réalisation. En 2018, Yili avait émis l’intention de racheter 51% d’un transformateur laitier pakistanais, dans l’objectif de prendre place sur ce marché et de poursuivre son internationalisation. Mais ce projet n’a pas abouti.

La progression des leaders chinois va-t-elle se poursuivre en 2020 ?

Le 1er semestre 2020 a été marqué en Chine par l’apparition de la Covid-19 entraînant des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et une baisse de la consommation (lien vers dernier article lait). Cette situation a pesé sur les comptes des entreprises laitières, y compris les deux leaders nationaux. La croissance du chiffre d’affaires d’Yili au 1er semestre 2020 (+5%/ 2019) a été moitié moindre que la croissance moyenne des 5 années précédentes et la plus faible depuis 2016. Mais ce résultat a été supérieur aux attentes grâce à de très bonnes ventes au 2nd trimestre (+22,5% /2019), permettant d’effacer un mauvais premier trimestre.

Mengniu a connu un recul de l’activité (-6% /2019) pour la première fois depuis 2015. Son bénéfice net a chuté de près de 42% et est trois fois moindre que celui d’Yili. Ce fort repli des bénéfices s’explique par des dépenses supplémentaires de prévention et de contrôle des épidémies ainsi que de frais de marketing réduire les stocks accumulés au 1er trimestre.

 

Yili creuse donc l’écart avec son rival Mengniu. Plusieurs observateurs chinois estiment que le duo laitier chinois Yili-Mengniu pourrait donc vivre ses derniers instants pour laisser la place à un leader incontesté dans le pays.

Les résultats du premier semestre sont relativement disparates chez les autres transformateurs laitiers chinois. Bright Dairy, le n °3 national a enregistré une hausse de près de 10% de son chiffre d’affaires et de +16% de son bénéfice net. A l’inverse, les résultats des laiteries provinciales sont demeurés dans le rouge. New Hope affiche une baisse de 6% de son chiffre d’affaires et de 26% de ses bénéfices. Ceux de Yantang Dairy ont reculé de 10% mais demeurent positifs.

Les fabricants de poudres de lait infantile ont connu un début d’année 2020 faste. Le chiffre d’affaires de Feihe a bondi de près de 50% d’une année sur l’autre et son bénéfice a été multiplié par 2. Chez Ausnutria, les ventes ont grimpé de 23% et le bénéfice de 32%. Le chiffre d’affaires de Beingmate a affiché une hausse de 15% et les bénéfices ont plus que doublé.

Ces bons résultats des fabricants de poudres de lait infantile s’expliquent par les achats importants des familles qui, craignant la pénurie, ont constitué des stocks de précaution. De nombreux ménages sont en effet inquiétés de la rupture des chaînes d’approvisionnement au sein du pays, mais également à l’international, les principaux pays fournisseurs de poudres de lait infantile étant touchés par la pandémie. En outre, plusieurs canaux d’importation ont été interrompus depuis février, comme les envois privés par la poste et les achats sur des sites internet étrangers.

Une réponse sur “Montée en puissance des leaders industriels laitiers chinois”

  1. Merci M. Chaumet. Toujours aussi précis, synthétique, pertinent et à même de partager de vraies perspectives. On en apprend chaque fois qu’on vous lit!

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