Rebond de la production laitière en Chine

Par Jean-Marc Chaumet


Après 10 ans de stagnation, la production laitière chinoise a, selon les données officielles, affiché deux années consécutives de hausse, en 2019 (+ 4% /2018) et 2020(+ 7,5% /2019). A 34,4 millions de tonnes en 2020, un nouveau record historique, le volume de lait produit a donc été supérieur de 14% à celui de 2008, année du scandale de la mélamine. La Chine se positionne ainsi en 5ème producteur mondial de lait, derrière l’Inde, les Etats-Unis, le Pakistan et la Russie.

Cette hausse de la production s’explique notamment par la croissance du cheptel laitier. Les constructions des très nombreuses nouvelles exploitations ont été alimentées par des importations de génisses en hausse (+30% /2019), en provenance de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’Uruguay.

La concentration géographique de la production se poursuit, avec 10 provinces chinoises qui produisent plus d’1 million de tonnes de lait, contre 8 en 2017, pour un total de 28,2 millions de tonnes, soit 82% de la production nationale, contre 70% en 2017.

La Mongolie intérieure occupe toujours la première place, avec 17,8% de la production totale, suivie du Heilongjiang (14,5%) et du Hebei (14,1%).

SI la production laitière reste dominée par les provinces de l’Est du pays, il faut noter la forte progression du Ningxia, province pauvre de l’Ouest, devenu un terrain fertile pour les investissements laitiers au cours des dernières années. Yili, Mengniu, Bright Dairy et New Hope, à la recherche de la maîtrise de leur approvisionnement en lait, ont augmenté leurs investissements dans le Ningxia qui est devenue la 5ème province laitière de Chine.

Un prix du lait au sommet qui pousse les transformateurs à investir dans l’amont

L’année 2020 a été marquée par une forte hausse du prix du lait en Chine. Entamée en 2019, la progression des cours a été interrompue par la crise de la Covid-19 au 1er semestre 2020, avant de reprendre au 2nd semestre pour atteindre 4,4 RMB/kg (0,55 €/l) et ainsi dépasser le précédent record historique de février 2014 (4,36 RMB/kg).

En moyenne sur l’année 2020, le prix moyen du lait s’établit à 4, 0 RMB/l, soit 0,49 €/l.

Cette hausse exponentielle des cours s’explique par une offre insuffisante pour répondre à la demande de lait local, notamment de lait liquide et de poudre de lait haut de gamme, dont les consommations ont été boostées par lors la pandémie de Covid-19.

Ces prix élevés permettent également d’amortir la forte hausse du coût alimentaire, dans le sillage de la progression des prix du maïs et du tourteau de soja. Les entreprises de production laitière ont ainsi pu accroître leurs profits. Les résultats du 1er semestre montrent, que malgré la baisse des prix et les ruptures de chaînes d’approvisionnement, les profits des principales entreprises étaient déjà en hausse (+17% /2019 pour Modern Dairy, +24% pour Yuanshengtai….). Ces bons résultats devraient permettre la poursuite des investissements dans la production laitière, à travers la construction de nouveaux élevages.

D’un autre côté, les prix élevés du lait poussent les transformateurs à intégrer la production de lait, pour limiter leur dépendance et maîtriser leur approvisionnement. La bataille pour les sources de lait s’est ainsi intensifiée après le déclenchement de l’épidémie de 2020. Rien qu’en 2020, 12 fusions et acquisitions de sources de lait ont eu lieu dans l’industrie laitière, dont 9 initiées par Yili et Mengniu. Les plus emblématiques sont :

  • En mai 2020, New Hope Dairy a acquis 100% du capital de Huanmei Dairy pour 1,711 milliard de RMB (217 millions €).
  • En juillet 2020, Mengniu est devenu le principal actionnaire de Shengmu pour 395 millions de dollars de Hong Kong (44 millions €).
  • Au 2nd semestre 2020, Yili est devenu le premier actionnaire de Zhongdi Dairy pour 1,8 milliards de dollars de Hong Kong (200 millions €)
  • En septembre 2020, Feihe a acquis 71% des actions de YuanShengtai pour 3 milliards de dollars de Hong-Kong (340 millions €).
  • En octobre 2020, Yili’s Youran a acquis la totalité du capital de Fonterra Chine pour 2,31 milliards de dollars de Hong Kong (261 millions €).

Yili a dépensé plus de 460 millions € en un an pour s’assurer un important approvisionnement en lait. La bataille entre les deux géants laitiers, Mengniu et Yili, s’intensifie donc pour racheter les grandes entreprises de production laitière encore indépendantes et asseoir leur domination sur la filière chinoise. Cette emprise croissante des grands groupes laitiers rend plus difficile la situation des petites entreprises de production laitière dépourvues de sources de lait stables qui devront supporter de plus grands risques de fluctuations des prix et des volumes de lait.

Mais cette offre insuffisante entraîne également des conséquences négatives. La première est une bataille acharnée entre transformateurs pour se procurer du lait, ce qui les pousse à renchérir sur les prix d’achat du lait et à lever la garde sur la qualité du lait collecté. Or cette priorisation de la quantité sur la qualité en période de prix élevés a été à l’origine du scandale de la mélamine en 2008. C’est ce qu’à rappeler l’Association de l’Industrie laitière chinois dans un document publié fin mars, demandant aux collecteurs de respecter les contrats en vigueur et de ne pas tirer les prix à la hausse dans cette bataille pour les volumes de lait.

La hausse des prix pourrait pèse également la compétitivité du lait chinois face aux importations.

Des importations chinoises contrastées

En 2020, la Chine continentale et Hong-Kong ont importé plus de 14 milliards de dollars de produits laitiers. La Chine continentale a elle seule a acheté 12,6 milliards de dollars, soit environ 12% des importations mondiales.

Ces importations ont évolué de manière contrastée.

Les volumes de poudres grasses et maigre importées ont reculé de -4% et -2% respectivement.

En janvier 2021, les importations de poudres grasses et maigre ont fortement progressé, tirées par les contingents à droits nuls dont bénéficient la Nouvelle Zélande et par les prix compétitifs de ses poudres grasses. Les achats de poudres grasses se sont réduits en février et pourraient poursuivre un rythme ralenti une partie de l’année, compte tenu de la hausse des cours néozélandais et des stocks apparemment importants en Chine. Les achats de poudres grasses se sont réduits en février et pourraient poursuivre un rythme ralenti une partie de l’année, compte tenu de la hausse des cours néozélandais et des stocks apparemment importants en Chine.

Les importations de poudres de lait infantile ont enregistré en 2020 leur premier repli depuis plus de 10 ans, qui s’est poursuivi début 2021 (-17%/2020). Elles représentent cependant toujours 40% des importations chinoises en valeur.

Ce recul des importations de poudre de laits infantile s’explique d’une part par la concurrence des marques locales s’intensifie grâce au regain de confiance des consommateurs dans les produits  « made in China ». D’autre part, le marché des poudres de lait infantile entame peut-être un recul de long terme, conséquence d’une baisse continue des naissances depuis 2016, malgré la fin de la politique de l’enfant unique. Ainsi, le président de l’Association de l’industrie laitière chinoise a conseillé aux entreprises qui se concentrent sur le lait en poudre pour nourrissons de se réorienter vers le lait en poudre pour adultes, comme le lait maternel pour les femmes enceintes ou pour les personnes âgées. Les poudres de lait infantile devraient ainsi devenir le noyau de la production des poudres de lait, autour duquel graviteront les produits destinés aux autres membres de la famille.

Les importations de laits liquides conditionnés ont fortement progressé (+16% /2019), après une hausse de +34% en 2019, pour atteindre le volume record à 845  millions de litres. La consommation de lait liquide a en effet été boostée par la crise de la Covid-19 favorisant la préférence des produits laitiers plus « frais» et «de qualité». Les produits importés, comme les produits locaux, en ont bénéficié. Les achats sur le marché international ont en effet réellement décollé au 2nd semestre 2020 et se sont poursuivis sur les 2 premiers mois de 2021, avec un bond de +62% /2020. L’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et l’Australie  demeurent les trois principaux fournisseurs.

Les achats de poudre de lactosérum ont également fortement progressé en 2020 (+38% /2019), par rapport au faible volume enregistré en 2019, grâce à l’accord commercial signé entre les États-Unis et la Chine en janvier 2020 et à la reconstitution du cheptel porcin chinois. A 622 000 t, elles ont enregistré un record historique.


Dans la mouvance de la transition du « lait à boire » vers le « lait à manger », les importations de fromages et de beurre, mais également de crème ont progressé en 2020, pour atteindre de nouveaux records historiques. Relativement faibles en volume, elles représentent tout de même 5%, 4% et 2% de la valeur totale des produits laitiers importés, soit 11% au total.

Début 2021, la tendance s’est poursuivie pour le fromage et la crème, sauf pour le beurre dont les importations ont reculé, dans la prolongation d’un phénomène d’alternance de hausses et baisse, entre surstocks et manque de produits.

Jusqu’à présent les hausses de prix du lait à la production n’ont été que partiellement répercutée aux consommateurs par les transformateurs (entre 3% et 5% selon les entreprises), notamment grâce à l’utilisation et l’incorporation d’ingrédients laitiers importés moins chers. La demande chinoise en produits laitiers ne devrait donc pas être impactée par ces niveaux élevés de prix du lait, à moins que les coûts des ingrédients importés (poudres grasses et maigres) ne grimpent à leur tour dans les prochains mois.

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